Nous avions oublié cette tradition de notre monarchie républicaine : chaque Président se doit de léguer quelque création culturelle à son bon peuple, il enrichit le patrimoine culturel national. Fort heureusement les médias nous ont rafraichi la mémoire : Pompidou nous a légué Beaubourg, Chirac le quai d’Orsay, Mitterrand la pyramide du Louvre. Emmanuel Macron, toujours en avance sur l’histoire, y avait pensé dès les premiers jours de son élection en 2017. Il allait nous donner le château de Villers- Cotterêts.
Le château tombait en ruines à l’époque et le jeune Macron a pensé que c’était une grande perte. Dès lors il n’a eu de cesse de reconstruire, d’aménager, de ressusciter le parc, et tout cela pour la modique somme de 250 millions d’euros (léger dépassement sur le devis), somme finalement minime pour une affaire qui accueillera quelque 200.000 personnes par an et qui, surtout, va pouvoir porter la langue française à son plein éclat.
Cette journée avait d’ailleurs commencé avec des communications stimulantes. On a entendu dire qu’il fallait éliminer certains temps de nos conjugaisons (pourquoi le passé simple ?), qu’il fallait raccourcir les textes pour les mettre à la portée de tous, que le parc avait été vendu par Louis Philippe pour financer le budget, cette privatisation est un crime (imaginez qu’un arbre puisse se vendre , assurément ce n’est pas un bien marchand, c’est un service public !). Donc, au total plein de personnalités culturelles dominantes ont pu s’exprimer et parfois même se disputer : la France se porte bien.
Naturellement c’est le discours du Président qui était attendu, et nous en avons eu pour une bonne heure. Aujourd’hui le Président Macron se félicite de cet évènement, qu’il a tant attendu, et se pose trois « questions simples » ! pourquoi la Cité Internationale de la Langue Française ? Ce que sera cette cité ? Et en quoi la Langue Française est essentielle pour les Français. ?
Pourquoi cette cité ?
D’une part nous sommes à l’épicentre de la littérature et de la poésie française, avec Dumas, non loin de Racine et La Fontaine (le Président ratisse large, mais cela est l’occasion de rendre hommage à tous les élus présents). D’autre part nous sommes dans le château de Villers-Cotterêt où en août 1539 François 1er va édicter l’acte qui oblige désormais à rédiger tous les actes du Royaume en « langage maternel français ». Voilà qui va faire le bonheur de la Pléiade, Clément Marot et Christian du Bellay viendront à Villiers-Cotterêt. Du Bellay démontre que le français est plus beau que le latin et le grec. Et l’aventure de la langue française va se poursuivre jusqu’à Jacques Toubon[1]
Que sera-t-elle ?
Un lieu d’étude, de formation, d’échanges. Mais aussi un spectacle ; dans le parc, dans l’auditorium. Elle sera marquée du sceau de « la durabilité », il sera « muséable » et « immersible ». A notre sens, tout est dit (et bien dit).
Quel intérêt pour les Français ?
Il est double : c’est un ciment, un facteur d’unité, et c’est aussi un universalisme, un facteur de liberté.
Un facteur d’unité parce que la langue est un rapport à la nation, un rapport à la République ; chaque Français fait partie de cette communauté. Il utilise la langue comme le mètre étalon : merci à la Révolution et à Napoléon. C’est la langue qui permet de tenir le pays après 1870 : on fera la guerre de 1913-1918 « contre les Boches » : voilà comment nous parlons ensemble et cela nous permet de résister. Pour autant est-ce que la langue française est uniforme ? Non point : elle est claire mais pas toujours, elle concise ou pas, elle traduit la raison, mais pas toujours, c’est un oxymore : tout ou son contraire. Bref elle nous rassemble « elle est une et indivisible, comme la République ».
Mais cela n’empêche pas la pratique et la culture de langues provinciales ; du breton au corse on note 72 « patois » qui sont de vraies langues, font il faut conserver leurs richesses. « Toutes les langues sont égales », c’est ce qui fait nation [2]. « La langue dans la République fait la langue de la République ». Emmanuel Macron va enfin recueillir des applaudissements quand il va dire son hostilité à l’écriture incisive : en France nous n’avons pas de neutre, nous n’avons que masculin et féminin, singulier et pluriel.
Mais la langue française est universelle, et à ce titre elle offre la liberté aux Français. En effet l’universalisme a été proclamé par la déclaration des Droits de l’homme, par le « J’accuse de Zola, la langue française a toujours défendu l’aveugle, l’orphelin et le handicapé. Elle a porté la décolonisation, elle a respecté les cultures assiégées par les occupants : c’est le sort de Toussaint Laverdure, c’est le français de Bouguiba et Senghor : contre la colonisation française. Aujourd’hui la vraie capitale de la langue française c’est Kinshasa, et pas Paris : 329 millions de Congolais parlent français. Pour la première fois l’Académie française a choisi pour Président quelqu’un qui n’est pas né en France. La langue française est un passeport pour l’’art de vivre. Il faut raisonner en termes d’alliances, la langue française est souvenir de la langue des minorités, l’Occident et le Sud doivent être en coexistence pacifique.
Ainsi la cité va-t-elle abriter des gens du monde entier. Elle sera en particulier ouverte aux professeurs, qui comme Dominique Bernard ont voulu transmettre la culture française, dans l’Education Nationale il faut réhabiliter l’orthographe, la dictée, la lecture à voix haute, il faut apprendre l’éloquence et lutter contre l’illettrisme. Mais la Cité sera aussi ouverte aux écrivains de la lignée de Camus, aux comédiens, aux bibliothécaires, aux traducteurs, à tous eux qui nous rapprochent, comme les maires de France présents ici.
Nous ne pouvons évidemment en dire davantage, ni prétendre être plus clairs que le Président. Nous n’avons peut-être pas été totalement convaincus, mais nous avons beaucoup appris.
[1] Le saut de Du Bellay à Toubon est un oeu rapide, et le succès de « allgood » est tout de même relétif…
[2] Emmanuel Maceron connaît-il les travaux de Mises sur la nature de la nation : la langue fait-elle une nation ? Mises se référait à la nation helvétique !