Il n’y a que la classe politique française pour vouloir « sauver » le système de retraites par répartition. Dans la plupart des autres pays de l’OCDE il est largement fait appel à la capitalisation, sous diverses formes
Cependant les débats sur la réforme des retraites remettent à l’ordre du jour des arguments naguère courants, notamment à l’occasion du rapport Delevoye. Dans un article de Contrepoints (12 janvier) l’Institut Molinari (Nicolas Marquès et Cécile Philippe) intitulé Retraites : généraliser la capitalisation et provisionner nous rappelle le rapport rédigé en 2021 avec Croissance Plus.
Le mérite de ce rapport est de donner des analyses et des statistiques qui permettent :
- une comparaison entre répartition et capitalisation : même en se référant aux chiffres de Piketty, les mêmes cotisations peuvent rapporter en capitalisation à peu près le double de ce qu’elles rapportent en répartition. Personnellement j’avais calculé qu’un smicard soumis au régime général par répartition perdait un capital de 250.000 euros[1]
- un premier record pour la France : le pays de l’OCDE où la capitalisation est la plus réduite, en pourcentage du PIB
- une mesure de l’écart entre la France et d’autres pays de l’OCDE : les fonds de pension privés ne représentent que 10 % du PIB, nous nous classons 23ème parmi les pays de l’OCDE (moyenne simple 50%)
- un avertissent sur la fragilité du système français actuel : les taux de réserve des organismes de retraite sont ridiculement faibles (2,5% du PIB, à comparer avec la Corée 34 %, et la moyenne OCDE 14%)
Le rapport établit avec clarté que la capitalisation n’occupe qu’une place résiduelle en France, alors qu’elle est largement pratiquée dans la plupart des pays de l’OCDE (Allemagne et Belgique exceptées cependant).
Dans ces conditions, pourquoi suggérer que la capitalisation évoquée dans le rapport serait « à la française » ?
La première raison est que la capitalisation est « collective », c’est-à-dire pratiquée dans le cadre d’organismes et de plans concernant des catégories entières de salariés : les salariés du secteur public avec l’ERAFP, les salariés des entreprises disposant de plans d’épargne-retraites de diverses formes (PERCO, PERE, PER) dont les uns sont obligatoires, d’autres contractuels.
La deuxième raison, corollaire de la précédente, est que la France ignore la capitalisation individuelle, c’est-à-dire la liberté pour une personne d’échapper au monopole de la Sécurité Sociale et de l’URSSAF. Par contraste les personnes exerçant certaines professions libérales (pharmaciens par exemple) échappent à la Sécurité Sociale et choisissent la capitalisation (mais elle est toujours collective)
La troisième raison est à mes yeux la plus importante : la gestion de sa propre retraite, en toute liberté, est la plus conforme au comportement spontané des individus tout au long de leur « cycle vital » : les jeunes investissent peu dans leur retraite (ils ont à élever leurs enfants, à payer des loyers, à s’équiper), vient ensuite l’âge où on commence à capitaliser, et c’est enfin vers la cinquantaine qu’on a les moyens et la volonté d’accroître ses pensions futures. En fait ce cycle est celui de l’épargne, et ne se limite pas à maximiser une pension, il prend souvent la forme de l’investissement immobilier, l’accès à la propriété permet d’éviter d’avoir un loyer à payer ou de toucher des loyers. Encore faut-il que l’épargne ne soit pas fiscalement spoliée – ce qui conduit à supprimer l’IFI et également l’impôt sur le revenu, pour le remplacer par un impôt sur la dépense.[2] Il faut également, concernant les salariés, qu’ils perçoivent leur « salaire complet » (les cotisations de Sécurité sociale disparaissent)-[3]
Mais j’ai surtout remarqué que le rapport ne traite pas vraiment du seul problème qui est surtout en France d’une difficulté considérable : celui de la transition. Comment passer de la répartition à la capitalisation ? Certes on trouve dans le rapport un tableau qui s’intitule « La montée en puissance d’une capitalisation plus significative », mais cette montée ne dit rien de ce que devient la répartition. D’ailleurs la capitalisation semble n’être qu’une adjonction au système par répartition. Au moment du rapport Delevoye on a vu apparaître l’idée de la retraite par points : une idée intéressante dans la mesure où on reconnaît à l’assuré la possibilité d’abonder à son compte d’épargne-retraite, mais une idée qui n’efface pas les tares de la répartition : quelle sera la valeur du point le jour où l’individu prendra sa retraite s’il y a de moins en moins d’actifs et de plus en plus de pensionnés ?[4]
Or, le vrai problème est celui de faire disparaître progressivement la répartition : il n’est pas question que les retraités actuels, ni ceux qui ont acquis des droits à retraite par leurs cotisations soient subitement spoliés. Continuer à payer les retraites par répartition et rembourser les droits acquis représente en France une somme égale à 10.000 milliards d’euros, soit à peu près 4 PIB. La transition ne peut donc pas se faire en quelques mois, ni même en quelques années. Entre José Pinera qui a pu liquider la transition en quelques années au Chili et Martin Feldstein qui a calculé une transition sur quelque 90 ans, il y a plusieurs choix à faire, qui dépendent du montant à payer, du taux de rapport des fonds de pension[5]. J’insiste sur le fait, prouvé depuis un demi-siècle maintenant, que la capitalisation accélère la croissance puisque l’argent des cotisations, au lieu d’être gaspillé dans la répartition, est investi dans les entreprises. C’est d’ailleurs un point qui n’est jamais assez pris en compte dans le débat sur la capitalisation : les assurés ayant la liberté de gérer leur retraite ont tendance à travailler plus longtemps, puisqu’ils savent que l’argent gagné et placé leur revient au lieu de se perdre dans les caisses de l’Etat.
Voilà pourquoi j’ai suggéré que « l’effort personnel de retraite » soit réparti en fonction de l’âge. Tout se passe comme si les jeunes actifs devaient payer une rançon pour échapper à la répartition qui les ruine assurément aujourd’hui : qu’ils soient obligés de cotiser pour liquider progressivement le solde de la répartition, ils auront ensuite quelque vingt ans au minimum pour payer leur retraite à leur rythme et au montant choisi. Dans ces conditions, l’âge de la retraite n’a plus aucune importance. Il existe aujourd’hui une vingtaine de pays dans lesquels le pilier de retraite par répartition a disparu (remplacé par un filet social financé par l’impôt au titre de la solidarité nationale). Un deuxième pilier par capitalisation est tantôt obligatoire tantôt facultatif et un troisième pilier entièrement libre et par capitalisation s’accroît régulièrement.
En conclusion, mon sentiment est que le rapport est de nature à convaincre des bienfaits de la capitalisation. Mais la capitalisation est performante au point qu’elle ne doit pas être un simple apport marginal, elle doit être au contraire le nouveau système, à mettre en place sur une génération au moins, le temps de liquider la répartition et de financer la transition.
[1] Cf. mes travaux en collaboration avec Georges Lane Futur des retraites et Retraite du futur 3 tomes : Le futur de la répartition, Les retraites du futur : La capitalisation, La transition. (Librairie de l’Université, Aix en Provence, IREF, éd. Avec l’aval de Contribuables Associés. (2008/2009)
[2] La déclaration de revenus s’accompagne d’une déclaration d’épargne, l’impôt ne touche donc que la dépense. L’impôt sur la dépense a été depuis longtemps préconisée en France par Pascal Salin : L’arbitraire fiscal, éd.Robert Laffont, 1985
[3] Le salaire complet mériterait évidemment une étude particulière, il s’agit bien de supprimer la part dite patronale aussi bien que la part dite salariale. Il est évident que la santé et le chômage méritent le même sort que les retraites.
[4] C’est mon collègue Jacques Bichot qui s’est illustré dans la défense de la retraite par points, il a eu l’appui d’Alain Madelin « Quand les autruches prendront leur retraite ». J’ai critiqué cette idée dans plusieurs articles, dont celui de La Tribune (27 décembre 2010) « Les retraités veulent de l’argent, pas des haricots » Alain Madelin écrit « La valeur d’un point serait déterminée en fonction des recettes des caisses. Seul l’argent disponible serait distribué. »
[5] Je suis d’autant plus surpris que ces auteurs n’aient pas été cités par Nicolas Marquès qu’il les a présentés dans sa thèse (que j’ai dirigée) Sécurité sociale ou Protections Sociales :une analyse économique institutionnelle Aix en Provence, 2000