Sa victoire déjoue les pronostics : c’est avec une large majorité que Javier Meili, chef du « parti libertarien » a été élu par les citoyens argentins. De quoi évidemment scandaliser les trois quarts des médias et commentateurs français : un ultralibéral d’extrême droite ami de Trump et Bolsonaro , bref : un néo-nazi. Le Monde avait d’ailleurs relevé quelque chose de scandaleux dans la campagne électorale argentine : on n’avait pas parlé d’écologie ! C’est dire que ces gens attardés ne connaissent pas les dangers qu’encourent la nature et la planète : rien d’étonnant à ce qu’ils votent pour un fachiste.
Il y a plus d’un mois j’avais eu la mauvaise idée d’annoncer la victoire de Meili, mais aussi de dire la vérité sur le candidat, son programme. J’ai parfois le tort d’avoir raison trop tôt, et je serais stupide de refaire un article pour dire la même chose, car je n’ai pas un mot à ajouter ou retrancher. Je vous demande donc d’aller consulter la Nouvelle Lettre du 19 août 2023 dans la catégorie Actualité : « Un Président économiste ultra-libéral d’extrême droite » avec le sous-titre « Cauchemar pour la presse : Javier Meili pourrait être président de l’Argentine en Octobre ».
Le libéralisme, un mot interdit ?1
Je voudrais simplement répondre à la question : à quand un libéral à l’Elysée ? Cette question a l’air stupide en 2023 mais elle a été importante et d’actualité à plusieurs moments de la vie politique française. Je suis tombé dans la marmite libérale dès 1963, donc il y a soixante ans, et j’ai cru en Giscard d’Estaing en 1974 (il allait enfin en finir avec le gaullisme et le socialisme), en Jacques Chirac en 1986 (après le succès électoral de la bande à Léo qui surfait sur la vague Thatcher Reagan), en Jacques Chirac en 1995 (il est élu grâce aux libéraux d’Idées Action et le gouvernement Juppé comprend douze ministres et secrétaires d’Etat libéraux), en 2017 quand François Fillon remporte les primaires des Républicains.
Bien évidemment ces poussées électorales vers le libéralisme ont été autant d’échecs pour les électeurs. La classe politique, Présidents en tête, a toujours trahi les attentes de ceux qui leur avaient fait confiance : Giscard devient « libéral avancé » et désormais le budget de l’Etat sera toujours en déficit, Jacques Chirac premier ministre est neutralisé par Mitterrand président et Balladur est incapable de privatiser, Jacques Chirac président élimine Madelin et les libéraux du gouvernement Juppé, François Fillon est assassiné par Sarkozy avec l’affaire du costume.
Mais ce qui me semble important en me posant la question c’est de comprendre pourquoi un Président libéral peut se retrouver à l’Elysée, et comment il pourrait mener une campagne victorieuse..
Pourquoi ?
Le pourquoi est l’attente d’une offre politique nouvelle, une rupture avec la « tyrannie du statu quo » comme disait Friedman. Or, le statu quo est installé dans l’histoire de la France depuis des siècles, comme le démontre magistralement Jean Philipe Feldman2. En réalité le choix du jacobinisme et du dirigisme a été très accéléré depuis 1944, car il s’est enrichi du mythe de l’Etat Providence, conformément aux principes du Conseil National de la Résistance3. Quatrième et Cinquième République ont connu centralisation, planification, bureaucratie, et il arrive des moments où le désespoir et la révolte se diffusent dans la nation, tout comme les Argentins ne pouvaient plus supporter 140 % d’inflation, la vraie misère de la moitié des gens, la corruption et finalement la dictature. Le message libéral est mieux reçu quand la classe politique s’est discréditée et quand tout va de travers, depuis l’école jusqu’à la justice, en passant par la santé, le logement, les transports, la culture, etc.
Comment ?
Voilà ce qui peut orienter le comment. La poussée libérale exige d’abord le choix d’un message clair. La liberté est devenue une valeur revendiquée par les adversaires de la liberté4. Contre ce mensonge il faut rappeler qu’il n’y a pas de liberté sans existence et respect de la liberté, de la responsabilité, de la propriété et de la dignité de l’être humain. Candidats et partis doivent se référer aux principes libéraux, ils doivent s’affirmer partisans d’un Etat minimum, de la subsidiarité, de la liberté du marché, d’un état de droit. Les idées et les convictions sont prioritaires. Il ne s’agit pas de proposer la liste habituelle de cinq cents réformes pour piper les voix d’électeurs de tous bords et de toutes conditions.
Mais la poussée libérale a aussi besoin de la diffusion du message dans la société civile. La société civile est aujourd’hui écrasée par les hommes de l’Etat et les médias. Entre le pouvoir et le peuple il n’y a apparemment plus aucun corps intermédiaire, ceux qu’on qualifie de « partenaires sociaux » n’ont aucune représentativité et ont partie liée avec le pouvoir. La plupart des associations sont des caisses de résonnance de la classe politique, elles deviennent des agences électorales. La renaissance de la société civile ne peut réussir qu’à partir d’échanges, de réunions, de cercles, de forums : il ne manque pas de thèmes sur lesquels information et débat sont appréciés et vont libérer les Français de la « servitude volontaire » qui prend souvent la forme de l’indifférence, de l’abstention et du repli sur soi.
Je rappelle souvent cette formule de Laboulaye : « Si vous voulez des élus libéraux, ayez des électeurs libéraux ».
Vous allez me dire que mon propos n’a rien de réaliste, et que l’affaire est déjà pliée pour l’Elysée. Il n’en est rien. D’une part nous sommes assez loin de l’année 2027, la conjoncture et les hommes peuvent évoluer. D’autre part il existe déjà des leaders politiques qui osent affirmer des convictions libérales, et qui sont écoutés d’un public sans cesse élargi. Enfin, et non le moindre, l’attente d’une offre politique nouvelle vaincra l’abstention, les votes négatifs et l’indifférence. Comme le prouve la célébration d’Arras5 la France peut retrouver son âme et choisir la liberté.
1 C’est le titre de l’article publié par les libéraux le 22 avril 2022 entre les deux tours de l’élection présidentielle, il contient un véritable manifeste libéral et il a été signé de plusieurs personnalités du monde universitaire, professionnel, et politique (dont David Lisnard).
2 Jean Philippe Feldman Exception française : histoire d’une société bloquée de l’Ancien régime à Emmanuel Macron, Odile Jacob, éd. 2020.
3 En réalité le CNR, constitué d’une majorité de communistes, ne fait que reprendre les idées de la Révolution Nationale des radicaux du gouvernement de Vichy. Il est curieux qu’Emmanuel Macron ait mis toute son application à créer le CNR bis Conseil National de la Refondation Cf. article de la Nouvelle Lettre 11 septembre 2022.
4 Mélenchon, Rousseau, etc. Jadis Georges Marchais « Je suis un libéral »(1974) Chez les anglo-saxons liberal signifie progressiste, le liberal est de gauche. (démocrate en principe aux USA).
5 Cf mon article dans la Nouvelle Lettre du 22 Octobre 2023 5Actualité : Arras : un peuple retrouve son âme, l’espérance renaît L’émotion, la dignité, la spiritualité, la foi et l’amour : rien ne manquait.