La place tenue à l’heure actuelle pour la constitutionnalisation de l’IVG et contre les violences sexistes et sexuelles s’explique par l’heureuse convergence d’un pouvoir incapable de réaliser les moindres réformes autres que les réformes sociétales et d’une extrême gauche désireuse d’imposer sa culture totalitaire. D’un côté les promesses électorales d’Emmanuel Macron et l’ambiguïté de la Renaissance, de l’autre le dynamisme de la France Insoumise et de la Nupes.
L’affaire me semble prendre un tour dramatique : c’est le concept même de liberté qui est en cause. Je ne prétends pas m’exprimer au nom de tous les libéraux de France et d’ailleurs, mais je me fais un devoir personnel de dénoncer ce qui se passe quand on sépare la liberté de ses prolongements naturels : la responsabilité et la dignité de l’être humain.
Je précise encore que le débat actuel est faussé par la confusion des termes employés, confusion qui reflète les trois positions face à l’IVG : pour la rejeter, pour l’encadrer, pour la sacraliser. Historiquement, dans la culture française, l’avortement a été interdit, puis dépénalisé, puis maintenant encouragé. Il ne faut pas croire que d’autres pays au monde en sont au même point que le nôtre, bien que les médias aient fait tout leur possible pour s’émouvoir de l’arrêt rendu par la Cour Suprême des Etats Unis, qui a simplement rappelé que le sujet, comme tant d’autres, est de la compétence des Etats membres et pas du pouvoir fédéral. Qu’il y ait une mobilisation mondiale pour constitutionnaliser le droit à l’avortement est incontestable, mais elle est inspirée par une idéologie de déconstruction de la société de libertés voire même d’un être humain déchu et coupable. Nous voici invités à un monde de la peur, de la honte et de la haine. Je choisis l’espérance, la foi et la charité.
Le grand projet de la constitutionnalisation introduit au moins quatre révolutions fondamentales : sur le rôle de l’Etat, sur la valeur d’une constitution, sur la nature du droit , sur le sens de l’éthique.
L’IVG et le rôle de l’Etat
Bien au-delà des lois Neuwirth et Veil, il s’agit maintenant de légitimer l’intrusion de l’Etat dans la vie privée. Que l’avortement soit dépénalisé pour mettre fin à des pratiques barbares et accepter l’avortement doublement volontaire, de la femme et du médecin, en dehors de toute considération éthique, cela peut se concevoir. Mais l’Etat ne saurait proposer son pouvoir pour faciliter, subventionner, voire imposer cet IVG. Il n’y a aucune mission régalienne autre que celle de faire respecter les droits individuels – en l’occurrence on ne tient plus l’embryon comme un enfant à naître, donc il n’a aucun droit. En revanche, l’Etat oblige les citoyens à contribuer aux frais de la Sécurité sociale. Il voudrait aussi obliger les médecins à oublier le serment d’Hippocrate ; mais cela ne fait que confirmer que la santé est devenue en France le monopole de l’Etat. Cela ne fait que confirmer qu’en France tout devient politique. Les arrières pensées électoralistes ne sont pas exclues des initiatives du gouvernement et du parlement.
L’IVG et la valeur de la constitution
Tout serait donc réglé si le droit à l’IVG était inscrit dans la Constitution. Il est intéressant d’observer que ceux qui sanctifient la constitution sont aussi ceux qui la violent le plus souvent. D’ailleurs la Constitution de la 5ème République, avec ses articles 11 (référendum) et 16 (pouvoirs exceptionnels) donne au Président de la République le pouvoir de s’affranchir de toute contrainte constitutionnelle. C’est une légalisation de l’anti-constitutionalité, de quoi révolter la théorie de Kelsen sur la hiérarchie des normes juridiques. Or il se trouve que les trois grands leaders de la politique française Mélenchon, Le Pen (éventuellement), Macron (de façon ambiguë, comme toujours) prônent un recours préférentiel au référendum. C’est un moyen de contourner l’article 89 de la Constitution qui exige un vote du Congrès (réunion des deux chambres du Parlement, aucun amendement et parfois majorité qualifiée).
De toutes façons, il est incontestable que la pratique constitutionnelle française privilégie l’illusoire séparation des pouvoirs et oublie facilement la définition des droits individuels. Pire encore, la référence à la déclaration des droits de 1789 est acceptable, mais viser la déclaration de 1948 est liberticide puisqu’elle a ajouté les « droits sociaux » que l’Etat doit gérer, et il est difficile de limiter la sphère et le pouvoir de l’Etat quand on attend de lui l’emploi, l’éducation, la santé, etc… « N’attendre de l’Etat que deux choses : liberté et sécurité et bien voir que l’on ne saurait, au risque de les perdre toutes les deux, en demander une troisième » (Bastiat)
L’IVG et la nature du droit
La constitutionnalisation aurait pour mérite de faire de l’IVG un « droit absolu ». Un droit absolu aurait deux caractéristiques ; d’une part il serait universel et intemporel, et échapperait à toute législation nationale, d’autre part il n’impliquerait aucune référence au droit naturel.
Actuellement les partisans du tout IVG lui veulent une reconnaissance mondiale, comme si d’autres pays que la France avaient été des pionniers. Or aucun pays n’a reconnu ce droit absolu, sinon la Yougoslavie de Tito en 1974 (mais libérés du communisme les nouveaux Etats constitués en 1991 ont aboli ce droit), et Cuba. En juin dernier un referendum au Chili a recueilli 62 % des voix contre ce droit. En revanche les Polonais en 2020 ont réformé la pratique de l’IVG (et ne l’ont pas interdit, contrairement à ce qui a été écrit) dans le cas où l’embryon serait atteint de malformation ou de maladie incurable. Certes, à l’initiative de l’association du planning familial, il y a depuis deux ans une Journée Mondiale du Droit à l’iVG (cette année le 28 septembre) mais le « droit absolu » n’est pas en progrès, contrairement à ce que les médias ont pu suggérer. L’organisation Mondiale de la Santé elle-même ne s’est pas engagée dans cette voie, elle a cependant porté la date limite de la pratique de l’IVG à 20 semaines de grossesse.
Le fond du problème est que la propagande du droit absolu ignore ce qu’est le droit. Evidemment beaucoup de mauvais juristes et une grande partie des gens croient que le droit est le résultat d’un décret : ils sont des adeptes du « droit positif », le droit posé par le législateur. Les dictatures ont toujours eu une apparence et un alibi de droit positif. Ainsi le droit positif a-t-il légitimé la suppression de la propriété privée, l’obligation de porter un signe distinctif de sa religion, la dénonciation, le conditionnement de la jeunesse, etc…
Le droit a une tout autre dimension. Il est recherche permanente, faite le plus souvent par les juristes et les magistrats, de ce qui est juste, c’est-à-dire « ajusté » à la nature des êtres humains. On se réfère ainsi à un « droit naturel », lui-même guide permanent de la recherche des règles du jeu social qui permettent l’épanouissement personnel et l’harmonie sociale. Donc, aucun droit n’est absolu. De nombreux juristes (comme jadis Daniel Villey et Christian Atias) s’inscrivent dans la tradition thomiste. Pour Saint Thomas le droit des hommes dérive du droit divin, mais nul être humain ne saurait avoir la présomption fatale de connaître le droit divin. C’est le droit naturel qui permet en permanence de guider l’évolution des règles du jeu social, et de corriger les écarts entre droit positif et droit divin. Le droit est donc recherche dynamique, et non règle absolue universelle et intemporelle. Il en est du droit à l’IVG comme de nombreux faux droits : c’est un mauvais droit positif.[1]
L’IVG et le sens de l’éthique
Que les partisans du tout IVG le veuillent ou non, il n’est pas possible de débattre de l’IVG sans se référer à l’éthique.
Il est vrai que l’IVG est maintenant banalisée, au point d’être considérée comme un moyen habituel de contrôle des naissances. C’est bien pour cela que ledit « planning familial » monte au créneau. Mais les témoins de l’IVG, médecins, psychologues et psychiatres sont formels : l’IVG, accidentelle ou fréquente, est dans la plupart des cas une souffrance immédiate et durable pour la femme concernée.
Bien au-delà de la morale (qui n’est que recensement des mœurs en pratique dans un espace et en un moment donnés) l’éthique est la recherche du bien, et le bien est ce qui épanouit et transcende la vie personnelle[2]. Elle commande le respect de la vie, mais aussi la beauté de la maternité.
La vie de l’embryon est celle d’un enfant à naître, et dès la première minute de la conception. Evidemment le droit positif s’est mis en peine de déterminer une période de « viabilité ». Elle est évidemment arbitraire : elle a augmenté au fil des années, avec l’OMS nous en sommes maintenant à 20 semaines de grossesse. Mais les limites sont dépassées puisqu’il est déjà prévu des avortements au moment de la naissance, au cas où la mère connaîtrait de vraies difficultés « psychologiques ou sociales ». Il est à remarquer que ceux et celles qui acceptent de supprimer un enfant à naître sont les mêmes que ceux qui se battent pour protéger la vie des animaux. On n’est ému que par ce qui est important !
Un autre aspect de l’éthique est l’interdiction de refuser le droit à l’IVG, et d’obliger tout le monde à ne mettre aucun obstacle à sa pratique, y compris pour les médecins. Refuser de payer un impôt sur le revenu au prétexte qu’il va financer une IVG obligatoirement remboursée par la Sécurité Sociale parce que ramenée à un simple acte médical.
Je crois enfin que la beauté de la naissance est oubliée, et par là-même la dignité de l’être humain. A la différence de toutes les autres espèces animales, l’homme et la femme ne s’unissent pas pour se reproduire, parce qu’il y un amour dans leur rencontre. C’est pourquoi le viol est à juste titre tenu comme indigne, inhumain, et l’Etat doit en effet assurer la sécurité de toutes les personnes. La naissance est le fruit de cette dignité humaine, et il me semble criminel de la ramener à une variable démographique, sociale, voire même familiale.
Il y a pire encore : c’est faire du soi-disant droit absolu à l’IVG l’instrument d’une propagande idéologique en organisant et multipliant défilés, pétitions, images et discours dont les vrais objectifs sont politiques, et plus précisément électoraux. De mon point de vue, comme le disait Bastiat, notre pays fait trop de place à l’Etat et à la politique. La réforme libérale est de réduire la sphère de l’Etat et de respecter la liberté et la dignité de l’être humain. La vie privée d’une personne est de sa responsabilité.
[1] J’ai fait allusion à Kelsen : ce fameux juriste a estimé que le droit positif peut se légitimer dans la mesure où il respecte une hiérarchie des normes, jusqu’à la norme suprême qui serait précisément la constitution. Mais la constitution elle-même est posée par le pouvoir politique..
A propos d’Hayek on a parlé de « darwinisme » social, mais c’est un des points sur lequel je n’ai jamais été tout à fait d’accord avec lui, je m’en suis entretenu avec lui. Hayek ne croyait pas au droit naturel parce que d’une part il se référait au droit naturel d’Aristote, non évolutif, et au droit des gens de Grotius et Puffendorf, plus proche du droit positif bien qu’à vocation professionnelle et universelle, d’autre part il tenait Dieu pour une totale et fatale présomption des êtres humains
[2] Philippe Nemo est allé jusqu’à démontrer pourquoi l’éthique rend beau : éthique et esthétique