Avec le budget, l’immigration et l’euthanasie la réforme des retraites sera le grand sujet
soumis à la nouvelle Assemblée Nationale. A l’heure actuelle les partis politiques sont très
divisés sur la question, l’âge et le montant de la retraite font débat.
Je crois que le monde politique et syndical fait erreur sur les solutions évoquées à ce jour,
j’expliquerai rapidement pourquoi. En revanche je proposerai une solution qui a
globalement réussi depuis cinquante ans dans les pays étrangers et rien n’empêche qu’elle
soit adoptée, ou au moins discutée dans le débat français. J’espère contribuer ainsi à la
concorde générale, si rare par les temps qui courent.
L’erreur fatale est de persévérer dans la logique des retraites par répartition. Ce système est
explosif dans une population vieillissante puisqu’il y a de plus en plus de pensionnés, ils
vieillissent bien et c’est tant mieux, tandis qu’il y a moins de jeunes. Inéluctablement on
aboutit à des cotisations de plus en plus lourdes et des pensions de moins en moins
suffisantes. On peut cacher le mal avec des emplâtres. C’est le cas avec les récentes mesures
de « revalorisation des petites pensions » : l’Etat va payer, la dette se gonflera.
Généralement c’est le cas de tous les déficits du régime retraites comblés par le budget de
l’Etat (environ 3 milliards).
L’autre stupidité du système par répartition est le gaspillage de l’épargne française. L’argent
des cotisations n’est pas capitalisé ni investi, il est immédiatement reversé pour payer les
pensions en cours, et le tiroir-caisse de l’URSSAF est vide chaque mois. La capitalisation
signifie le placement de l’argent pour investir dans des entreprises, créer des emplois, du
pouvoir d’achat et des productions nouvelles.
Donc, discuter sur 60, 65, 70 ans n’a aucun sens : pourquoi pas la retraite à 91 ans ?
J’en viens aux choses sérieuses. Nous avons besoin d’une réforme qui rassure, qui perdure,
qui économise.
Une réforme qui rassure : ceux qui sont aujourd’hui soumis au régime général par
répartition doivent être assurés que tous les droits qu’ils ont acquis depuis leurs premières
cotisations seront conservés : les pensions continueront à être indexées et servies comme
c’est le cas aujourd’hui, et tous ceux qui sont en vue de leur retraite pourront avoir ce qui
leur est dû. Parallèlement ceux qui ont accès à des retraites totalement ou partiellement en
capitalisation gardent leurs droits, c’est le cas des fonctionnaires et des membres de
certaines professions libérales ou artisanales. Enfin, tous les régimes spéciaux sont
maintenus jusqu’à leur totale extension (sur une génération sans doute), mais les nouveaux
embauchés ne sont pas affiliés à la Sécurité Sociale, ils peuvent adhérer à des mutuelles ou
souscrire des contrats d’assurances privées. Au total, personne ne perd un sou pendant la
transition systémique.
Une réforme qui perdure : Cette transition systémique se déroule sur une longue période,
personne à ce jour n’a trouvé comment tout changer tout de suite. La méthode qui a été la
plus souvent retenue à l’étranger consiste à juxtaposer trois piliers.
Le premier pilier est celui de la garantie d’un revenu minimum pour les personnes âgées.
C’est ce qu’on appelle encore le « filet social » : nul ne peut manquer de ressource, la
solidarité nationale doit s’exercer et le financement doit être trouvé dans le budget de l’Etat
ou de toute autre instance administrative prélevant un impôt général. Mais à la différence
des modalités actuelles des minimums vieillesse ces aides publiques ne peuvent être
permanentes et constituer une rente, en tenant compte évidemment des handicaps et
maladies durables.
Le deuxième pilier est celui de la transition du régime général vers la capitalisation. Je
partage pour commencer la technique due à José Piňera : diviser la population concernée en
trois catégories de personnes J1 (jeunes personnes de moins de 45 ans en activité) S2
Séniors (en retraite ou sur le point d’être retraités dans moins de 15 ans) I3 Intermédiaires
(entre les deux autres catégories). Ce qu’il faut alors décréter c’est
-demander aux J1 de continuer à cotiser jusqu’à l’âge de 45 ans pour assurer les pensions de
S2, mais sans acquérir le moindre droit sur le système par répartition
-laisser aux I3 le libre choix (mais définitif) entre rester totalement en répartition ou passer
en capitalisation
En fait, le « sacrifice » des jeunes se conçoit facilement : ils auront payé une rançon pour
sortir de la répartition. Et ils l’auront fait au bon moment. En effet quand on démarre dans la
vie active, on n’a guère les moyens d’épargner : on crée une famille, on a des enfants, on
loue un logement. Mais on est bien obligé de penser à sa retraite, et le système par
répartition actuel y oblige. On est toujours dans la logique de la solidarité
intergénérationnelle : les jeunes prennent en charge les aînés. Mais les jeunes acquièrent
aussi une assurance : après avoir cotisé pendant quelques années (20 ans en principe) ils
pourront appartenir à un système par capitalisation qui leur rapportera davantage en leur
coûtant moins. Ce lien entre âge et épargne est conforme à une hypothèse très connue en
économie : le « cycle vital », découvert par Modigliani et Brumberg après de longues études
statistiques, et conformes au mode de vie dominant (même s’il y a eu évolution dans
plusieurs pays). A ce « sacrifice » les jeunes peuvent ajouter une initiative importante :
commencer d’abonder un compte d’épargne-capitalisation.
Quant aux personnes d’âge intermédiaire, elles peuvent calculer qu’en moins de 15 ans elles
pourront reconstituer une retraite plus avantageuse et moins coûteuse que la répartition -ils
renonceraient ainsi aux droits acquis en répartition, ce qui ralentit le poids de la transition et
les « sacrifices » à consentir. D’ailleurs nombreux sont les économistes et juristes qui
demandent que tout Français soit autorisé à entrer en capitalisation compte tenu des
avantages que procure le système, et j’en suis d’accord, mais ils considèrent cette
autorisation comme un moyen de compenser les risques de la répartition sans tenir compte
de la nécessité de garantir les dernières échéances du système de répartition, pendant
quelque deux générations.
Cette approche ne m’est pas personnelle, elle a été en particulier validée par Gary Becker
dès 1996, au cours d’une conférence que j’avais organisée à Paris. Gary Becker estimait que
cette réforme procédait d’un choix de société : un retour à la gestion personnelle de son
patrimoine, un encouragement à l’épargne, un progrès économique.
Une réforme qui économise
Cotiser moins, avoir de meilleures pensions, mieux garanties : c’est la vertu propre de la
capitalisation.
A l’heure actuelle la part que la France affecte globalement au régime des retraites est de
loin en proportion du PIB, la plus élevée d’Europe. Seul le Luxembourg investit davantage,
mais le niveau des pensions est le plus élevé d’Europe. Par contraste, les retraites françaises
sont les moins élevées et le taux de remplacement net atteint péniblement 62 % . Ce taux
est supérieur à 100 % dans plusieurs pays (les pensions sont supérieures au dernier revenu
perçu).
La répartition fait actuellement perdre 240.000 euros à tout futur retraité. En effet si la
capitalisation se fait à un taux de rendement moyen réel de 5% le capital retrouvé après 45
ans de cotisation aurait été de ce montant. Mais on n’a pas autorisé les salariés du régime
général à capitaliser, leurs cotisations en répartition se sont envolées en permanence.
D’après le calcul effectué par l’Institut Molinari les cotisations en capitalisation
représenteraient un tiers de ce que les Français payent aujourd’hui en répartition, et le
montant des pensions serait égal à plus de 85 % du dernier revenu.
Beaucoup de critiques sont adressées à la capitalisation, la plus importante est la faillite des
assureurs qui gèrent les comptes des assurés. On évoque toujours la faillite d’Enron ou de
Maxwell, mais il s’agit de comptes d’entreprises, et j’y suis formellement opposé, et les
coupables du détournement des fonds ont été jugés et condamnés. En réalité l’opposition à
la capitalisation est purement idéologique : c’est le capitalisme et la finance qui sont en
cause. Il est grand temps d’en finir avec la propagande politique des ennemis de la liberté et
de l’économie. Monsieur Barnier et son gouvernement feront sans doute le bon travail,
après 14 échecs depuis 1991.