Libéral, et libéral engagé, Gérard était membre des Nouveaux Economistes, de l’ALEPS, de la Société du Mont Pèlerin. Ce n’est pas par hasard que le jeune agrégé de Sciences Economiques en 1973 choisit le poste de Professeur à la Faculté d’Economie Appliquée d’Aix en Provence. C’est que cette Faculté, créée la même année, rassemble des économistes totalement opposés à l’idéologie socialiste qui règne dans les universités françaises depuis 1968. Alors que la chienlit de 1968 avait inspiré des réactions politiques plutôt conservatrices et porté au pouvoir Georges Pompidou, la loi sur les Universités concoctée par Edgar Faure a introduit la lutte des classes et le désordre le plus démagogique. A Aix les enseignants économistes se sont séparés entre deux universités : les socialistes marxistes et keynésiens majoritaires d’un côté, et la minorité libérale de l’autre, créant la Faculté d’Economie Appliquée avec Claude Zarka pour doyen. Le cabinet de Pompidou a créé un poste et l’a mis en concours à l’agrégation de 1973. Agrégé en bon rang Gérard Bramoullé choisit Aix. Dès 1974 et âgé de 29 ans seulement il sera élu Doyen de la Faculté, le plus jeune de tous les temps en France. Il assurera le décanat pendant les cinq années suivantes.
J’ai insisté sur cet épisode universitaire parce que j’ai été à l’origine de cette promotion mais surtout parce que va se lier une amitié de cinquante ans, une amitié dont la dimension intellectuelle se conjuguait avec une affection réciproque. Dans cette amitié notre commun libéralisme a bien sûr beaucoup compté.
Gérard Bramoullé économiste : ses publications marquent son caractère, il est d’une rigueur intellectuelle sans concession[1]. Il publie chez Dalloz un grand manuel sur la monnaie, avec Henri Guitton d’abord, puis Dominique Augey ensuite. Des milliers d’étudiants français apprendront ainsi que l’inflation n’est pas un facteur de plein-emploi, comme le disent les keynésiens, qu’il ne faut pas jouer avec la monnaie au risque de briser la croissance. Se marque ainsi la spécificité de Gérard : son goût pour l’épistémologie, pour la méthodologie : suivant Karl Popper Gérard Bramoullé tient à ce que l’économie soit une science à part entière, alors qu’à l’époque tout le monde intellectuel et médiatique suit aveuglément Jacques Attali qui se rend célèbre avec « l’Anti Economique » : l’économie n’est pas une science, c’est un choix politique. Voilà en effet les socialistes autorisés à se prendre pour des savants. C’est son souci de rigueur scientifique qui pousse Gérard à écrire un ouvrage dont le titre est assez évocateur : la peste verte[2]. Il dénonce les mensonges les plus grossiers qui soutiennent la thèse de l’origine humaine du réchauffement climatique, une thèse qui n’a d’autre but que de détruire l’économie de marché et la croissance qu’elle apporte, au prétexte qu’elles détruisent la nature et la planète. Il accuse en particulier celui qui se veut le savant écologique de l’époque Michel Serre[3]. Gérard avait bien vu comment les écologistes tuent les libertés : on commence par faire peur au peuple (la vie sur la planète est menacée) puis on le culpabilise (c’est vous qui gaspillez les ressources, qui détruisez la nature). Le peuple peut-il se défendre contre le pouvoir ? Comme le pouvoir se réclame de la science (incarnée par exemple par le GIEC) et qu’il a la réputation de prévoir et planifier le long terme, le peuple se résignera, c’est la « servitude volontaire ».
Nous avons balayé tout cela avec la Nouvelle Economie. Dès l’année 1978 notre groupe de Nouveaux Economistes multiplie les ouvrages et les articles, la grande presse (le Figaro Magazine de Louis Pauwels) nous suit, et Gérard sera parmi les pionniers de la première Université d’Eté : les Français vont enfin bénéficier des récents progrès de la science économique et en particulier de ce qu’on appelle l’Economie Autrichienne. En peu de temps Aix va devenir un carrefour mondial de la pensée libérale, les plus grands noms de la Science Economique seront nos hôtes. Mais les étudiants aussi affluent du monde entier, et de plus en plus en provenance de l’autre côté du rideau de fer. C’est qu’en 1985 Gorbatchev a relevé le rideau avec la «glasnost» (liberté d’expression et liberté d’enseignement). Comme plusieurs Nouveaux Economistes Gérard se fait un devoir d’aller enseigner les étudiants dans les pays d’Europe de l’Est et il va participer à plusieurs séminaires, par exemple nous étions ensemble en Pologne à Gdansk avec les amis de Solidarnosc, et à Sinaîa en Roumanie malgré Ceausescu. Dès avant 1991 des cars entiers de Roumains, Bulgares, Tchèques viennent à Aix. L’été 1991 l’Université d’Eté accueille deux étudiants russes qui l’avant-veille étaient à Moscou sur les chars d’Eltsine qui mettaient fin au Parti Communiste et à l’URSS.
Entre temps Gérard est entré en politique. Elu avec la municipalité de Jean Pierre de Peretti en 1983, il y est pour la première fois adjoint aux Finances. L’engagement de Gérard à la mairie d’Aix va faire de lui non seulement une personnalité politique, mais un réformateur libéral qui n’a guère eu d’égal. Il tient d’abord à ce que la municipalité ait des finances en ordre, et il a vite repéré que s’il existe un Etat Providence il existe aussi des villes-providence, accordant subventions et exemptions à de nombreuses associations et manifestations sans intérêt autre que politique et électoral. Il a aussi compris que les personnes travaillant au centre d’Aix perdaient chaque jour des heures s’ils venaient de la périphérie, lui-même habite dans la commune de Venelles. Il a alors créé un vrai pays d’Aix, associant toutes les communes périphériques en une même communauté, reliée par un réseau de transports en commun de haute fréquence : moins de bouchons aux entrées de la ville. Mais il a surtout défendu l’autonomie des Aixois contre la dictature jacobine de l’Etat, de la préfecture et, plus récemment, de l’agglomération Aix Marseille qu’il appelait la Monstropole[4],. Il défend les communes contre le racket financier de l’Etat et il écrit Finances et libertés locales Pourquoi tant d’impôts locaux[5]? Il avait donc anticipé l’assassinat financier dont les communes ont été victimes avec la suppression de la taxe d’habitation, et nous en avons longuement discuté au sein de notre sérail d’Economie Appliquée. Voilà aussi ce qu’est l’engagement politique : au niveau le plus près possible des gens qui sont concernés par les mesures prises par le pouvoir local. C’est le principe de subsidiarité, c’est ce qui garantit une vraie démocratie. Oui, Gérard a été un vrai réformateur libéral.
Ce qui est remarquable avec Gérard c’est que les réformes qu’il a engagées et réussies ont été admises sans difficulté, mais pas sans combat. Pour le combat on pouvait compter sur le courage et la rigueur de Gérard. Mais finalement il parvenait à faire admettre à tout le monde les bienfaits de son action. C’est qu’il avait le sourire, la malice, la sympathie des gens qui sont bien dans leur peau, qui ont une doctrine, qui ont une foi. Jean Yves Naudet a décrit avec précision[6] comment se comportait le doyen de la faculté (pendant cinq ans, de 1974 à 1979) : en jean, tutoyant les étudiants et bien sûr les collègues, avec une boutade à l’appui. On ne pouvait rien lui refuser parce qu’on savait que derrière le sourire il y avait non seulement une idée mais aussi un cœur. Ce cœur il l’entretenait dans sa famille. Il était fier d’appartenir par sa mère à l’une des plus anciennes lignées d’Aix. Il était fier d’avoir pour père un général de la Légion Etrangère, poursuivant à la retraite une nouvelle carrière industrielle chez Peugeot (où je l’ai souvent rencontré). Ce cœur il l’a entretenu avec ses enfants, et avec celle qui l’a accompagné avec tant de dévouement, tant de patience et tant d’amour jusqu’à son dernier moment. Un dernier moment que Gérard lui-même a eu la lucidité de préparer en homme libre et digne.
[1] C’est sans doute ce qui lui a valu d’être choisi dans les jurys d’agrégation de Science Economique deux fois et au jurys de l’ENA
[2] La Peste Verte , coll.Iconoclaste Les belles Lettres, éd. 1991
[3] Voici le reproche adressé à Michel Serre: « le déferlement écolomaniaque culmine dans le culte infantile d’une « Terre-Déesse-Mère » qui ne pourrait pleinement exister que débarrassée de toute vie humaine. Devenue une machine totalitaire au service d’un fanatisme aveugle, l’écologie est désormais une Peste verte qui menace tous les êtres humains ».
[4] Il en était de droit le vice-Président, et il ne fait aucun doute que cette Mégapole n’a pour but que de ponctionner les ressources d’Aix et de la région de Berre-Martigues pour combler les déficits de la cité phocéenne
[5] Editions de la Librairie de l’Université, 2006
[6] Dans les colonnes de La Provence, édition d’Aix, samedi 2 décembre 2023
Vous n’avez pas perdu votre plume Jacques, quel bel hommage. Je n’ai pas oublié mon directeur de thèse et cette belle équipe qui animait le CAE.
La liberté vient de perdre une de ses plus illustre defenseur, le F Bastiat des temps moderne, homme politique, homme de lettre et de sciences, qui aimait par dessus tout sa famille et la vie.
Je ne l’oublierai jamais, je ne vous oublierai jamais
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