La future Première Ministre de l’Italie attise en général le mépris, la peur, voire la haine. Nous avons déjà fait allusion à son profil politique la semaine dernière, et rétabli un certain nombre de vérités. Sa victoire dimanche dernier a forcé encore plus le trait, et il est désormais courant de la traiter de « post-fasciste ». C’en est au point que notre Premier Ministre Elisabeth Borne, a promis que la France allait se mobiliser pour surveiller le respect des droits de l’homme en Italie : la France peut donner des leçons de droit, de liberté et d’économie à tous les pays !
L’expression post-fasciste est déjà en soi très ambiguë. Car, associer Gloria Meloni à Mussolini, c’est évidemment oublier que l’inventeur du fascisme était aussi le secrétaire général du Parti Socialiste Italien. Hayek a rappelé qu’il n’y avait aucune différence entre le nazisme et le communisme, tous deux ayant pour doctrine commune le socialisme et le nationalisme : cela donne national-socialisme, et le principal pourfendeur du nazisme aujourd’hui est bien Poutine, sans doute démocrate invétéré. Comme l’a rappelé avec pertinence une vidéo des Echos parue hier, Georgia Meloni a en effet été dans sa jeunesse socialiste, héritière des opinons de son père communiste. Elle a abandonné le socialisme : elle est post-socialiste. Aujourd’hui ses discours sur les méfaits de l’Etat providence, source des dépenses et des dettes publiques, mais aussi des inégalités, et sur les bienfaits du libre échange et de la libre entreprise sont sans appel. Du point de vue électoral Georgia Meloni a écrasé la gauche dans les deux régions les plus à gauche : Toscane et Romagne. Au niveau national avec 44% des suffrages elle a laissé la gauche à 18 points derrière. Amère défaite pour la gauche française (de tous partis, ministres actuels compris).
En revanche Georgia Meloni est sans doute restée nationaliste quand elle a créé « Fratelli d’Italia », les Frères d’Italie qui chantent la grandeur de leur patrie, et qui sont contre l’immigration incontrôlée et contre l’Europe de Bruxelles.
Il est difficile d’oublier que l’Italie est aujourd’hui le pays « d’accueil » des émigrés africains, en provenance du Maghreb, mais encore davantage du Sahel et des pays de dictatures africaines. Ici le problème est qu’une partie de ces immigrants cherche réellement un emploi et une intégration dans l’Europe du travail, mais en général ils ne restent pas en Italie. Car en Italie demeurent volontiers, et surtout dans le Sud, des clients pour l’Etat providence : ils restent là, ou passent en France, autre pays protecteur. Si on ajoute que depuis cinquante ans au moins l’émigration draine les gens du Sud les plus travailleurs et les plus entreprenants vers le Nord, et que les gens du Nord paient les allocations de ceux du Sud, on comprend que les Italiens finissent par se révolter : « la fête est finie » dit Georgia Meloni. De là à la comparer à Marine Le Pen, il n’y a qu’un pas à franchir. Mais il y a une différence avec la doctrine du Rassemblement National : il n’y a pas l’ode anti-mondialiste et populiste de Marine Le Pen. Les photographes et journalistes se sont empressés de décrire Georgia Montini comme la poupée entre les mains de Berlusconi, mais elle n’approuve pas les mœurs de son ancien mentor, elle se veut simplement du côté des entrepreneurs, de ceux qui travaillent, et elle est opposée à l’Etat Providence, à l’égalitarisme et au jacobinisme (qui s’exprime en Italie par la ville de Rome, capitale des politiciens et des bureaucrates).
C’est aussi la raison pour laquelle elle ne cesse d’attaquer Bruxelles, notamment depuis qu’à l’initiative du couple franco-allemand et sous la poussée de l’écologie politique l’Europe s’est enflammée pour l’harmonisation des normes, pour la création d’un droit européen bâti avec la complicité de la Cour de Justice Européenne, pour l’ouverture des vannes budgétaires avec le soutien de la Banque Centrale Européenne. De la sorte, elle a fait campagne pour la sortie de l’Italie de l’Union Européenne et de la zone euro. Elle prône un retour au traité de Rome, une Europe espace, marché commun, et pas une Europe puissance. Pour autant, elle a milité pour le soutien à l’Ukraine, car son Europe est celle de la liberté et de la souveraineté. En cela elle marque aussi son indépendance à l’égard de Berlusconi, et bien évidemment de Mario Draghi, qui n’a joué aucun rôle dans son succès, il n’a d’ailleurs plus aucune audience en Italie, mais cela n’empêche pas ses détracteurs de reprocher à Gloria Meloni d’être « d’extrême droite » parce qu’elle avait refusé d’entrer dans le gouvernement de coalition de Mario Monti !
Enfin, pire que tout, cette femme n’aime pas les réformes que les Français appellent « sociétales » : elle est « pour la famille traditionnelle », « contre le droit à l’avortement », contre l’adoption d’enfants par les couples homosexuels. Elle a une formule bien mise en avant dans la vidéo des Echos : elle veut défendre « Dieu, la patrie et la famille ». Cela permet aux auteurs de titrer : « elle est d’extrême droite ».
Voilà d’ailleurs qui pose le problème des relations entre libéraux et conservateurs. Il existe un grand nombre de libéraux qui n’admettent pas que l’Etat se mêle de la vie privée. C’est pourtant une ingérence qui s’est accentuée depuis quelques décennies, et dont le sommet a été atteint avec les lois Taubira, avec les lois dites « éthiques » (sur la PMA, sur l’adoption, sur l’euthanasie). Nombreux sont les libéraux qui pensent que la classe politique n’a pas à officialiser, soutenir et subventionner un mode de vie quelconque. Et nombreux sont ceux qui se réfèrent au droit naturel qui, comme son nom l’indique, est conforme à la nature de l’être humain, au respect de la vie. Ces libéraux associent liberté et dignité (ce qui en effet a été institué dans le cadre de la « famille traditionnelle »). On ne peut pas oublier que la candidature de François Fillon a été soutenue par des gens qui avaient manifesté contre le mariage pour tous, par des gens qui voulaient réduire la sphère de l’Etat, et aussi par des gens qui étaient à la fois conservateurs et libéraux.
Mais, dans la mesure où Georgia Meloni dérange la gauche révolutionnaire et la pensée unique française, on comprend qu’il ait fallu l’étiqueter tout de suite à l’extrême droite, mentir sur sa personne et mépriser ses opinions. La réaction la plus saugrenue, mais très révélatrice, est bien celle d’Elisabeth Borne : « Bien évidemment, on sera attentif, (avec) la présidente de la Commission européenne (Ursula von der Leyen), à ce que ces valeurs sur les droits de l’Homme, sur le respect des uns et des autres, notamment le respect du droit à l’avortement, soient respectées par tous ». Nous ne savions pas que ce droit était inscrit comme tel dans une constitution et encore moins qu’il était issu du droit naturel, puisqu’il s’agit d’une atteinte à la vie d’un enfant à naître. D’ailleurs le droit à l’avortement n’a jamais été reconnu en Italie, il existe une législation qui autorise la pratique de l’avortement médical, nécessaire dans des situations exceptionnelles. Mais Elisabeth Borne a raison : la France détruira les inconvenances italiennes avec le secours de l’Europe, puisque la loi de Bruxelles permet désormais de s’affranchir du droit naturel.