Le 2 novembre dernier je vous proposais un article intitulé : Gaspard Koenig obtient le prix Renaud.
Ce titre est mensonger : C’est Ann Scott qui a était couronnée, j’ai mal interprété un article du Figaro du 2 novembre également qui me sembler annoncé le résultat des délibérations du jury, alors qu’il ne s’agissait que de la deuxième sélection. Je suis navré pour cette grave erreur. Il n’en reste pas moins que ce que j’ai dit sur le jugement de la presse et des médias qui présentent Koenig comme un porte drapeau du libéralisme est exact, et l’analyse de l’œuvre et du livre de Gaspard Koenig me semble conforme à la réalité :
Sur les dix quotidiens régionaux, sept ont salué la victoire de Gaspard Koenig comme celle d’un « libéral ». Radio France l’a présenté comme « la figure de proue du libéralisme moderne », mais le JDD lui avait aussi attribué le mérite d’être « le porte-drapeau d’un libéralisme mutant ». Vous comprenez la joie d’un libéral classique comme moi, d’ailleurs en 2.002 Gaspard Koenig présentait lui-même sa doctrine comme celle du « libéralisme classique ».
Libéral classique ?
Je reconnais tout le mérite qu’il lui fallait avoir pour accéder à cette haute dignité. Car il était mal parti, avec des parents soixante-huitards très engagés, un passage dans la cellule communiste du lycée Henri IV, une réussite à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, la plus gauchise de toutes les NormalSup, et une grande admiration pour Deleuze, le plus virulent des post-modernes. un séjour d’un an à l’Université de Columbia de New York où les philosophes français étaient très appréciés.
Le hasard ne lui facilite pas les choses, car le voici en 2002 à Bercy engagé au cabinet de Christine Lagarde, ministre de l’Economie, puis appelé en 2004 à Londres par Jacques Attali pour la Banque Européenne de Reconstruction et de développement (BERD. Passer de la philosophie post-moderne aux finances publiques et au capitalisme de connivence est évidemment un grand écart, mais Gaspard Koenig n’est toujours pas libéral classique. On dit que sa femme (roumaine d’origine) qui est elle-même engagée dans les milieux financiers de Londres, serait à l’origine de son évolution.
Va-t-il prendre enfin un virage libéral ? Il cherche à faire une carrière politique en se présentant sans succès sous l’étiquette du Parti libéral démocrate en 2012. Il décide alors de créer en 2013 Génération Libre, qui se présente comme un think tank libéral[1]. Son talent littéraire se concrétise par la publication et le succès de six ouvrages depuis 2004, la fortune constituée avec son épouse lui permet d’être bien admis dans la société parisienne et de financer son entreprise libérale.
Cependant le libéralisme de Génération Libre n’est pas vraiment accepté par les libéraux classiques. En particulier Gaspard Koenig se fait le héraut du revenu minimum, puis du revenu permanent (Liber) en sollicitant fortement la pensée de Milton Friedman. il recommande le libre commerce du cannabis, il défend le droit des animaux. Il bouscule un peu l’histoire de la pensée, par exemple en considérant John Stuart Mill comme un libéral alors qu’il ne l’est pas.
Mais officiellement il est le chroniqueur des Echos, ses articles sont rédigés dans un langage plutôt hermétique, snob et anglo-saxon quasi incompréhensible pour le commun des lecteurs, mais épicé de pointes d’humour, d’ironie, avec des chutes bien étudiées. Il obtient du Point de financer son voyage à cheval en Europe sur les traces de Montesquieu : Limousin, Champagne,, Alsace, Allemagne, Piémont, Ligurie, Toscane, Abruzzes et Rome. D’après lui, ce voyage à cheval lui inspire une initiative libérale : il crée en 2021 le parti SIMPLE pour dénoncer les excès de la bureaucratie française, il fait un tour de France très apprécié, au point qu’il se porte candidat à l’élection présidentielle en 2022. Mais il n’obtient pas les 500 signatures nécessaires pour participer à la campagne, il appelle alors ses militants et la population française à voter pour Emmanuel Macron. « Cessons de braire et votons pour la République […] Alors finissons-en avec cette présidentielle »[2] .Gaspard Koenig déclare mettre fin à sa « séquence politique ». Il ira même jusqu’à déclarer que la politique exclut toute réflexion, elle exige de répéter sans cesse des slogans à « s’inscrire dans un sillon : une idée qui bascule en politique est déjà gâchée »[3]
Humus : venons-en à la nature pour sauver la planète
J’ai retracé le parcours intellectuel et politique de Gaspard Koenig jusqu’à la publication de son « Humus », ouvrage couronné par le prix Renaudot le 7 novembre. Voici maintenant le nouveau Koenig, avec son habit d’écologiste post moderne. Sa présentation est explosive : l’être humain (homo) n’est qu’un sous-produit de la nature décomposée (humus) « Les Romains le savaient bien : Homo vient d’humus. Homo vit d’humus. Puis Homo a détruit humus. Et sans humus, pas d’Homo. Simple. »
C’est simple mais je crois que c’est simpliste. J’ai essayé de trouver quelque cohérence ; fût-elle minime, dans ce slogan « romain ». Je simplifie à mon tour la démonstration. Elle repose sur une science en plein développement : la géodrilologie. Aussi ignares que moi vous ne savez peut-être pas qu’il s’agit de la science des vers de terre.
Les vers de terre seraient à l’origine de la vie, parce que les vers de terre ne cessent de labourer la surface de notre planète et permettent ainsi l’échange entre l’air et la croute terrestre. Ils sont des milliards à travailler pour nous sans que nous en ayons conscience (264 vers par m² en France), mais nous ne savons pas le pire : l’homme détruit les vers de terre : homo menace la survie d’humus. Donc, le seul moyen de sauver la planète et l’être humain, c’est de restaurer humus. Simple, n’est-ce pas ?
Heureusement Koenig se fait plus clair dans sa démonstration : comment restaurer humus ? Ici commence un roman bien construit. Deux personnages, férus en géodrilologie, vont tenter deux approches différentes : l’un Kevin issu d’une famille d’ouvriers va créer une entreprise qui va fabriquer des sacs de composts qui permettent la survie des vers, l’autre Arthur , riche héritier d’une propriété agricole en Normandie, va essayer de labourer le sol comme le font les vers.
L’’un et l’autre rencontrent des difficultés : Kevin se heurte à un système financier qui ne soutient pas les start-ups mais finalement c’est lui qui l’emporte : grâce à son épouse il fait la connaissance de personnes haut placées qui vont financer son projet industriel (au passage une critique bien venue de la Banque Publique d’Investissement). C’est à mon sens ce qu’on appelle le capitalisme de connivence. Quant à Arthur, valeureux paysan, il est paralysé par les écologistes extrêmes qui veulent imposer la culture sans mécanisation et par la réglementation de la construction immobilière[4] . Il est remarquable que Gaspard Koenig s’interdise de prendre position pour l’un ou l’autre de ces deux acteurs, car si Kevin l’emporte c’est au détriment de la planète : c’est lui l’homo qui tue l’humus. La solution ne viendra pas de l’Etat, mais de l’homo lui-même. On ne sauvera pas la planète dans la précipitation, à coups de règlements, de subventions ou d’incitations fiscales, en confiant à l’Etat et à un Plan Ecologique la responsabilité de nous sauver en sauvant la planète. C’est l’être humain lui-même qui doit changer, qui doit s’ouvrir sur lui-même et réaliser que la terre est sous ses pieds et que la nature doit reprendre ses droits.
Au niveau des institutions, qui influent sur le comportement personnel, il faudrait dès maintenant s’obliger à- quelques changements décisifs : par exemple le droit de propriété de la terre n’a plus aucun sens dans un monde où les gens se déplacent sans cesse, le fonctionnement de la démocratie doit être repensé à partir de commissions trans-partisanes pour modifier la constitution (le CNR de Macron ?). Evidemment on est loin du compte, le temps pour sauver la planète est limité : voilà cinquante ans que le rapport Meadows nous avait alarmés, mais on a continué à exploiter les ressources naturelles et à polluer. L’échéance de la COP 25 est déjà bien trop lointaine. La seule façon de nous comporter est de miser sur l’amitié, la fraternité et la solidarité, c’est d’ailleurs ce qui finalement va permettre à Arthur et Kevin de se retrouver. Mais cette approche est difficile parce que la société est bloquée dans la logique de la rentabilité et de la croissance. Il faut que l’être humain lui-même fasse un retour sur lui-même. A mon avis cette belle invitation à l’humanisme (que tout libéral nourrit) tranche avec l’idée suivant laquelle l’être humain n’est que déchet. Il m’est difficile de conclure sur le Koenig du prix Renaudot.
L’ouvrage humus est en rupture avec le libéralisme très approximatif que l’auteur a longtemps professé. On pouvait avant 2023 le qualifier comme l’avait fait Eric Zemmour : « le fils putatif d’Alain Madelin et de Daniel Cohn Bendit ». Aujourd’hui il est écologiste, pessimiste, il veut une « vraie société », il veut refaire le monde. Certes il se démarque ouvertement des révolutionnaires qui sont à l’œuvre, comme le nouveau parti anti capitaliste (NPA) de Poutou et Besancenot, comme les nostalgiques d’Action Directe, comme les zadistes, comme Extinction Rébellion (XR). Mais il traduit et il accentue l’ignorance de ce qu’est la liberté et l’ignorance des principes du libéralisme. Son succès est liberticide, on peut l’attribuer à l’idéologie qui inspire la pensée unique, elle-même victime de la philosophie post-moderne : l’homme est déchu, et c’est le système capitaliste qui l’asservit. Le devoir des libéraux est de rappeler la nature même de l’être humain et les valeurs qu’il porte en lui : la liberté, la responsabilité, la propriété et la dignité. Pas d’humus, « Ecce homo » : retrouvons le vrai visage de l’être humain, comme jadis le fit Pilate présentant Jésus.
1 En 1999 quand Madelin a mis fin à Idées Action (pour créer le Parti Libéral démocrate) j’avais créé « Génération Libérale » dont les deux vice-présidents étaient Le Goff et Jacob. Koenig n’a pas fait preuve de beaucoup d’imagination
2 Article dans les Echos. Voici d’autres passages de l’article « Une fois la démocratie sauvée, nous aurons tout le plaisir de repenser son fonctionnement. » « Le candidat Emmanuel Macron s’est engagé à un processus de refonte constitutionnelle à travers la mise en place d’une commission transpartisane. À nous d’y faire entendre nos voix ! Alors finissions en avec cette présidentielle. Et promettons que cette élection sera la der des der ».
3 Interview sur Radio Courtoisie du 28 octobre 2023
4 La réglementation publique interdit la construction : loi SRU et CDCEA Commission départementale de consommation des espaces agricoles