Nous reprenons ici un article tout à fait éclairant de Pierre Garello dans la Lettre de l’IREF.
Pour beaucoup, les coupables sont à chercher du côté des marchés et il faut taxer les superprofits du secteur énergétique afin de réduire la facture des ménages et des entreprises. D’autres appellent à une reprise en main de ce secteur par l’État qui serait moins avide de profit et court-termiste. D’autres encore accusent l’Union européenne qui nous forcerait à vendre notre électricité et notre gaz aux autres pays membres et amputerait notre indépendance énergétique.
Les marchés de l’énergie (pétrole, charbon, gaz, nucléaire, renouvelable) sont connectés
A ces propositions il faut bien sûr ajouter celles de nos gouvernements (français et européens) qui tentent de reprendre l’initiative et avancent à leur tour des idées, plus ou moins coercitives, pour sortir au plus vite de la crise (Conseil de défense sur le gaz et électricité réuni par Macron le 2 septembre dernier, discours sur l’état de l’Union le 14 septembre).
Pour pouvoir trier le bon grain (s’il y en a !) de l’ivraie, il est bon de rappeler quelques éléments clés du marché de l’électricité et du gaz. Nous nous apercevons alors que ces mesures, si elles étaient adoptées, ne pèseraient en rien sur les vraies causes de la crise énergétique que nous traversons et que les vraies solutions se trouvent ailleurs : dans le respect des mécanismes de marché.
Un premier facteur objectif est que les marchés de l’énergie (pétrole, charbon, gaz, nucléaire, renouvelable) sont connectés puisqu’il y a un certain degré de substitution entre eux. Ainsi, lorsque le marché du gaz s’emballe (Gazprom est le plus gros fournisseur en Europe), le marché de l’électricité est impacté. Un second facteur primordial pour expliquer la flambée des prix de gros est que l’électricité est une ressource non-stockable. Fournir une électricité de qualité nécessite donc qu’à tout instant l’offre soit égale à la demande des entreprises et des ménages. Un défi de taille ! Pour cette raison, les acteurs du marché de l’électricité achètent et vendent sans cesse de l’électricité sur les marchés à terme et « spots » où s’échangent des KWh livrables le jour d’après, voire le jour même. Un peu comme en finance, plus nombreux sont les acteurs, mieux l’offre et la demande s’ajustent. Dans cette perspective, l’intégration des marchés européens de l’électricité et la libéralisation des marchés nationaux qui l’avait précédée (directive 1996 et 2009) devaient être deux excellentes nouvelles pour les ménages et les entreprises françaises.
Mais ces transactions sur le marché de gros sont fortement encadrées (règlement de l’Union européenne 2015/1222 de la Commission). La réglementation prévoit en particulier les méthodes à utiliser pour calculer, sur la base des informations recueillies quant à l’état de l’offre, de la demande et des capacités de transport, le prix auquel elles seront conclues. Le choix a été fait par le régulateur d’appliquer le principe de la tarification marginale « selon lequel toutes les offres acceptées auront le même prix pour chaque zone de dépôt des offres et pour chaque unité de temps du marché » ainsi que des prix maximaux et minimaux harmonisés à appliquer dans toutes les zones de dépôt des offres. » (articles 38, 41 et 54 du règlement). Nul doute que la flambée récente des prix de gros soit imputable au moins en partie à cette réglementation. Cela semble d’ailleurs un avis partagé par le régulateur lui-même qui propose à présent de modifier les règles d’ajustement en bloquant l’évolution des prix maximaux.
Si le marché de gros de l’Union européenne est fortement réglementé, le marché de détail en France l’est encore plus
Bien sûr, cette hausse est due aussi à la tension entre offre et demande. Cette dernière est repartie fortement en 2021, et le passage forcé aux transports électriques n’arrangera rien. Mais c’est surtout du côté de l’offre que les choses vont mal. Et le marché n’y est pour presque rien. Il y a l’Ukraine et les embargos, il y a l’abandon du nucléaire en Allemagne, les hésitations de l’État français sur ce même nucléaire et la mauvaise gestion de son parc, il y a le choix de promouvoir l’éolien et le solaire qui ne fournissent pas forcément de l’électricité quand on en a besoin. Cet interventionnisme explique une large part de la flambée des prix.
Mais l’État pyromane se transforme alors en État pompier et dresse des « boucliers » censés protéger fournisseurs et consommateurs. Tout comme pour l’inflation, il veut cacher la montée des prix aux usagers pour maîtriser leur grogne. C’est ainsi que si le marché de gros de l’Union européenne est fortement réglementé, le marché de détail en France l’est encore plus. Qu’on en juge par les nombreux tarifs fixés par arrêté sur les avis de la commission de régulation de l’énergie (CRE) : tarifs d’accès au réseau, tarif très avantageux de l’ARENH (accès régulé à l’énergie nucléaire historique), EDF étant sommée de vendre plus de 30% de son électricité nucléaire à ses concurrents. La CRE fixe aussi le tarif réglementé du gaz naturel qui est choisi par 26% des consommateurs (il est bloqué depuis octobre 2021 et devrait disparaître en juillet 2023). Il fixe encore le tarif réglementé de l’électricité qui concerne 64,2% des sites résidentiels. Citons encore le tarif de première nécessité rebaptisé en 2018 chèque énergie. Aux tarifs il faut ajouter les taxes : les taxes sur l’électricité représentent plus de 35% du prix TTC ; celle sur le gaz, 27% de la facture. Mentionnons encore l’obligation d’achat et/ou de versement d’un complément de rémunération à EDF faite aux producteurs d’énergies renouvelables, à des tarifs fixés par arrêtés. Jusqu’au bouclier tarifaire qui limite la hausse du prix TTC de l’électricité à 4% pour les tarifs réglementés. L’UE, de son côté, a rehaussé en 2021 à 40% la part exigée des énergies renouvelables d’ici 2030.
Ainsi, les signaux que reçoivent les différents acteurs du marché, consommateurs et producteurs, ne reflètent plus la réalité économique de la situation, l’ampleur des difficultés, la nature exacte des besoins et les opportunités d’investissements profitables. Les signaux qu’ils reçoivent sont des tarifs et des obligations qui reflètent principalement l’idéologie politique du moment. Et ce n’est pas la nationalisation en cours d’EDF qui permettra de rétablir la transparence des marchés qui seule permet des choix… éclairés.