Exception Française
Jean Philippe Feldman
Faites vite, mais prenez votre temps.
Vous pouvez et vous devez vous précipiter chez votre libraire puisqu’aujourd’hui même l’ouvrage de Jean Philippe Feldman est en vente. Ensuite vous pouvez prévoir un bon week-end de lecture car une fois l’introduction parcourue vous voudrez aller toujours plus loin dans la lecture. Pourquoi ?
Parce que vous allez trouver tout ce que vous cherchez pour convaincre les gens autour de vous de l’impossibilité de réformer dans notre pays héritier de plusieurs siècles d’étatisme, mais aussi de l’urgence d’une réforme libérale. Dès le début la vérité s’impose, elle est traduite par Emile Faguet : « Tous les Français sont étatistes et il n’y en a point qui soient libéraux » (p.14). Mais une autre vérité donne la conclusion et rappelle une évidence : « Qu’on mette enfin la liberté à l’épreuve ! » (p.482) et ici c’est Bastiat qui nous le dit.
Découvertes
Au fil des chapitres, vous allez multiplier les découvertes. Découverte de citations, que vous pourrez reprendre dans vos argumentaires. Découverte de faits, rapportés avec la plus grande précision, à partir de sources claires et fiables (811 notes tenant 28 pages). Découverte de la pensée de ceux qui ont fait l’histoire de la France, des despotes sans doute, mais aussi « d’un pays égalitariste et envieux » et d’un « peuple de fonctionnaires » (chapitres 9 et 10).
Toutes ces découvertes ramènent à la thèse soutenue par l’auteur : ce que nous vivons aujourd’hui est dans la stricte continuité historique, aussi loin que l’on remonte dans le temps. Continuité de l’étatisme, du monarchisme, de la centralisation, de la religion politique et politisée. Jean Philippe Feldman apporte des preuves irréfutables, accablantes : jamais la liberté n’a été au rendez-vous. Il propose son analyse dans un style élégant et agréable pour le lecteur : j’ai dévoré les pages, chacune d’elle a des trésors de culture, d’humour, de profondeur.
La tradition monarchique
Dans ce volume, Je pense que chaque libéral trouvera de quoi se passionner. En ce qui me concerne j’ai d’abord apprécié l’histoire de la tradition monarchique, la ressemblance des mots, des comportements, d’Henri IV à De Gaulle en passant par Napoléon et…Pétain « La mission que m’a donnée le peuple, c’est de sculpter la statue de l’Etat » (De Gaulle, p.134). Cette tradition résiste à l’alternance droite-gauche, ou royauté-république ou conservatisme-socialisme. Elle n’a pratiquement jamais été interrompue, si ce n’est avec le « bloc national » qui voulait en 1919 remettre l’Etat « dans sa sphère naturelle d’activité » (p.105). Certes il y a une nuance importante entre deux formes de régimes, suivant que le monarque dise « tout par moi » ou « rien sans moi » (p.10 : l’EtatProvidence a le même pouvoir que l’Etat Totalitaire, l’Etat gendarme n’a jamais existé.
Les nationalisations, les privilèges, les dépenses somptuaires, l’accumulation des lois ont toujours existé, l’état de droit a été malmené.
Libéralisme et Catholicisme
J’ai beaucoup apprécié également le chapitre consacré à La fille aînée de l’Eglise (chapitre 8) dans lequel Jean Philippe Feldman traite des relations entre libéralisme et catholicisme. Il oppose les libéraux catholiques (des libéraux qui ont une foi) et les catholiques libéraux (qui placent la liberté sous contrôle religieux et ecclésial), comme Lamennais (p.321). Or, l’Eglise catholique ne s’inscrit pas dans une tradition libérale, et un panorama des Encycliques depuis le début du XIXème siècle nous en persuade. Cependant la Doctrine Sociale de l’Eglise Catholique, initiée avec Léon XIII et l’Encyclique Rerum Novarum contiendra une critique violente du socialisme, notamment parce qu’il combat la propriété privée. Cette référence à la propriété ira même jusqu’à l’affirmation des vertus de l’économie de marché, « économie de liberté » dit Jean Paul II dans Centesimus Annus . D’autres Papes et d’autres Encycliques (qui ne sont jamais que des conseils « prudentiels » et pas des dogmes de foi) seront moins clairvoyants, et le Pape François, avec Laudato Si est tout proche du marxisme et de la « théologie de la révolution » .Jean Philippe Feldman nous fait l’amitié de citer Jean Philippe Delsol, François Facchini, et de reconnaître dans ce domaine les efforts de l’ALEPS (portée jadis par Raoul Audouin) et de l’Association des Economistes Catholiques (créée par Jean Yves Naudet).
Et Macron ?
Peut-il faire appel à la liberté ? Il faut bien en discuter puisqu’il est en titre de l’ouvrage. Le jeune Président a l’ambition de créer une nouvelle société. Mais peut-on réformer une société historiquement bloquée, avec des Français « en avance d’une révolution parce que toujours en retard d’une réforme » (Edgar Faure, p.481) ? Jean Philippe Feldman évoque la thèse (bien ancrée chez certains libéraux) suivant laquelle la réforme dans un pays étatiste centralisé ne peut venir que du haut. Comme Bastiat il n’y croit pas (p.480).
Comme en Angleterre, la réforme ne peut venir que du bas, de la pression de l’opinion publique. Mais là est le problème : « L’Etat, à force d’interventionnisme, émollient, a apprivoisé la société civile, jusqu’ à la pervertir » (p.480)
Pourtant, conclut l’auteur, le pessimisme n’est pas de mise […] S’il y a une exception française longuement forgée plusieurs siècles durant, il n’y a pas de déterminisme qui interdirait aux Français de se réformer et de le faire enfin de manière profonde » (p.482)
Jean Philippe Feldman nous invite ainsi à libérer la société civile de l’exception française. Il s’y emploie d’ailleurs avec énergie et talent. Pour les lecteurs qui l’ignoreraient il est administrateur de l’ALEPS, membre du Comité de Rédaction du Journal des Libertés, et il est régulièrement intervenu dans les Université d’Eté d’Aix en Provence. Dans le civil il est Professeur agrégé de Droit, il enseigne à Sciences Po, et est avocat à la Cour de Paris.
Jean Philippe Feldman Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron, Odile Jacob septembre 2020