Emmanuel Macron a désiré assister à la messe présidée par le Pape François samedi prochain 23 au Stade Vélodrome. Voilà de quoi susciter la colère d’Alexis Corbière, député à l’extrême gauche du Parti des Insoumis: le Président trahit la laïcité républicaine. On se demande s’il n’y aura pas des sifflets et des perturbations durant la cérémonie, et d’ailleurs les chauffeurs de taxis se proposent de bloquer la ville ce jour-là, mais pour des raisons purement corporatives et professionnelles[1].
Emmanuel Macron a justifié sa décision : il se rend à la messe en sa qualité de Président de la République, mais pas en tant que catholique : d’une part il ne participera pas à quelque pratique religieuse que ce soit au cours de la messe, d’autre part il n’a pas à se sentir lié par les propos et les initiatives du Pape au cours de son passage dans la cité phocéenne. La laïcité exige la nette séparation de la religion et de l’Etat.
D’ailleurs le Pape François n’a pas eu à demander quoi que ce soit au Président français : il a précisé dès le début de sa démarche qu’il venait à Marseille, et pas en France. Mais comme Marseille est en France cela ne saurait laisser indifférent le Président de ce pays laïque et républicain.
L’argumentation d’Emmanuel Macron, pour sophistiquée qu’elle soit, est solide : même élevé chez les Jésuites il n’est pas un catholique très pratiquant, à la différence du général De Gaulle, et il a l’occasion d’être présent dans des cérémonies religieuses d’autres confessions, on l’a vu dans des synagogues, des mosquées, des temples, et il ne s’est pas signé devant le cercueil de Johny Hallyday lors de ses obsèques à l’Eglise de la Madeleine.
Il n’en reste pas moins qu’on peut se poser plusieurs questions sur les conditions de la rencontre marseillaise. Tout d’abord il faut se rappeler que les relations personnelles entre les deux hommes sont excellentes : l’entente, voire une amitié sincère, a marqué leurs relations. Cela a sans doute pesé dans la décision d’Emmanuel Macron.
Mais pourquoi le Pape François a-t-il dit qu’il venait à Marseille, et à Marseille seulement ?
Sans doute y a-t-il plusieurs explications. La plus courante consiste à dire que Marseille, ancienne Phocée, est le symbole d’une Méditerranée ouverte à tous les peuples, à toutes les cultures. Mais on ne peut pas dire que la cohabitation entre communautés soit un modèle du genre à Marseille aujourd’hui.
Le Pape veut-il donner un feu vert à l’immigration ? Nous sommes en plein drame à Emperlousa, et le Pape s’est fait le défenseur de l’accueil des Africains en Europe, au grand dam du gouvernement italien, et en opposition avec plusieurs Etats européens. Veut-il rallier la France à sa position, alors même que la loi sur l’immigration divise déjà le pays ? Il a été dit aussi, par des proches de l’Elysée, que le pape avait beaucoup d’admiration pour Monseigneur de Belsunce, qui avait eu le courage de rester dans la ville alors que les élites et bien portants avaient fui la peste du 19ème siècle. Sollicitude pour les pauvres, pour les malades, soit. Mais en quoi la France contemporaine ne viendrait-elle pas au secours des malades et même des pauvres ?
Reste un ensemble de discordes profondes, elles portent sur les réformes dites « sociétales » déjà réalisées et sur le point de se radicaliser : la PMA et le mariage pour tous, mais surtout l’euthanasie sur laquelle un projet de loi va être discuté dans peu de temps. Ici le Pape n’apparaît plus comme un progressiste mais comme un conservateur.
Finalement on peut être sûr à mon sens de deux choses : la première c’est que la rencontre avec le Pape est un signe fait par l’Elysée à l’électorat de droite, vers lequel se multiplient les signes d’ « autorité » et de « fermeté » : les européennes approchent. La deuxième chose, la plus importante à mes yeux, est que la laïcité à la française est ingérable, aujourd’hui comme depuis des siècles. Un grand progrès de civilisation avait été réalisé avec la « révolution grégorienne », [2]qui a mis fin à la confusion entre la religion et le pouvoir politique. On a oublié les bienfaits de cette révolution. A Marseille c’est le chant de la haine qui est monté vers Paris, et beaucoup d’insoumis veulent en revenir à Robespierre et au culte de l’Être Suprême.
[1] La métropole leur a refusé le prix du forfait qu’ils exigeaient pour relier l’aéroport au centre ville.
[2] Droit et Révolution Harold Berman Librarie de l’Université Aix édL2002-