Gloria Meloni n’est guère appréciée en dehors de son pays. Elle s’oppose à l’Union Européenne en refusant les quotas d’immigration (un accord avec l’Albanie vient d’être signé contre les règles de Bruxelles), elle passe pour Marine Le Pen dans la presse française (donc elle est déconsidérée et on la caricature en nouveau Mussolini – qui était socialiste). Mais la voici maintenant en quête d’une réforme constitutionnelle que l’on peut qualifier de révolutionnaire : faire élire le Premier Ministre au suffrage universel direct.
Certes la proposition n’est pas si révolutionnaire qu’on le dit. D’abord elle avait été tentée par Sylvio Berlusconi, mais elle a été rejetée par referendum négatif : le peuple italien n’en avait pas voulu. Ensuite pour Gloria Meloni comme pour Berlusconi c’est une façon habile de se faire réélire, et de profiter d’une popularité naissante.
Il y a cependant matière à réfléchir. Les Américains élisent bien un « ticket » : Président et Vice-Président, en une seule fois. Mais le Vice-Président n’a aucun pouvoir, il n’est là que pour remplacer le Président en incapacité de présider : Truman après la mort de Roosevelt , Gérald Ford après la démission de Nixon. Les Français ne peuvent « bénéficier » de cette réforme ; la constitution de la 5ème République amendée par De Gaulle prévoit bien l’élection du Président de la République au suffrage universel (à deux tours de scrutin) mais le Premier Ministre est nommé par le Président de la république élu (article 8 de la Constitution) sauf si la majorité parlementaire n’est pas celle du président (une disposition très actuelle mais dont la cohérence est incertaine car la « majorité parlementaire » est variable – et aussi la majorité présidentielle). D’autre part les Italiens pratiquent le referendum négatif, qui permet d’éliminer un Premier Ministre élu, alors que le referendum négatif n’est pas à l’honneur en France.
Mais le vrai débat nous semble être ailleurs. Il revient à rappeler le principe du parlementarisme. Né en Angleterre (mais certainement en Islande bien avant) le parlementarisme repose sur l’existence de partis. Cela amène des partis à avoir des programmes et des choix facilement clairs pour les électeurs (à supposer que le suffrage soit universel, et non censitaire). Et la règle est que le Premier ministre sera le chef du parti qui aura gagné les élections. La variante est celle d’une alliance entre deux partis, c’est alors le chef de l’un des partis alliés qui devrait être retenu. Dans ces conditions, les électeurs savent à l’avance quelle sera la politique menée, et qui la mènera.
Mais le parlementarisme est aussi un principe de séparation des pouvoirs, et l’affaire se complique ici. L’affaire a été facilitée en Angleterre par le choix de rois venus de l’étranger. La dynastie des Hanovre a donné le pouvoir exécutif au Parlement, et les rois et reines successifs ont toujours eu à respecter le Premier Ministre issu des élections, même avec la reine Victoria alternant entre whigs et tories. Ailleurs, la position du Premier Ministre est très variable : elle n’est pas la même dans les pays scandinaves et dans les pays latins (Espagne et Belgique). Elle tient compte aussi de la différence entre Etat et nation, liée au degré de centralisation du pouvoir exécutif.
Le parlementarisme a, semble-t-il, des compagnons de route nécessaires : les partis politiques, qui font des offres politiques différentes. Ces offres sont fondées sur des doctrines, des principes qui conduisent à des programmes. Ce qui caractérise précisément la vie politique française depuis la 4ème république en particulier c’est l’incapacité des partis de s’intéresser aux doctrines. C’est ce que Daniel Villey appelait « l’adoxalisme », et il citait en particulier Michel Debré : « La doctrine du gaullisme est de ne pas en avoir » : pas de dogmatisme, rien que de l’empirisme[1]. Avec de telles perspectives bonne chance aux électeurs : ils sont sûrs que les élus gouverneront en fonction de ce qu’ils pourront faire, on leur laisse un chèque en blanc, et les électeurs n’auront pas à se plaindre si les promesses ne sont pas tenues : ce sont les circonstances qui ont rendu impossible la politique et impuissant le pouvoir.
De toutes façons le parlementarisme, peu pratiqué en France, n’est pas une garantie de clarté politique ni de représentativité du corps électoral. Tout dépend aussi des lois qui régissent les scrutins. Et la démocratie n’est pas davantage une garantie de concorde populaire et d’harmonie sociale, Churchill l’a rappelé. Voilà pourquoi dans le troisième volume de « Droit législation et liberté »[2], Hayek propose un modèle de constitution fondé sur un bicaméralisme avec une Cour Constitutionnelle chargée de faire respecter l’état de droit, c’est-à-dire la régularité des procédures qui ont amené à voter une loi : on ne juge pas de la règle sociale, mais de la façon dont elle a été posée. Evidemment Hayek ne veut pas entendre parler de « droit naturel », parce qu’il n’aimait ni l’ordre naturel aristotélicien condamné à l’immobilisme, ni les jusnaturalistes du 17ème siècle (Grotius et Puffendorf). Que n’a-t-il pas suivi les thomistes de l’Université de Salamanque qu’il aimait pourtant beaucoup ![3]
Peut-être est-il bon de revenir au débat fondamental : quel modèle constitutionnel peut-il garantir la liberté ? Mais le débat implique que les êtres humains soient instruits et persuadés des bienfaits de la liberté. Ici nous avons une belle mission à remplir.
[1] Daniel Villey A la recherche d’une doctrine économique, Génin, éd. Paris 1968
[2] Friedrick Hayek Droit Législation et Liberté tome 3 L’ordre politique d’un peuple libre, éd. PUF coll Libre échange, Paris 1983
[3] Hayek a déplacé tout un congrès de la Société du Mont Pèlerin (qu’il présidait) pour aller visiter l’université de Salamanque où les scolastiques ont repris les principes du thomisme. J’ai souvent discuté avec lui de son hostilité au droit naturel…sans le convaincre.