Ces derniers jours ont mis en évidence la « convergence des luttes » : l’expression est d’Olivier Besancenot, président du PAC, Partti Anti Capitaliste, expert en la matière.
On a vu des manifestations, des grèves et des préavis de grèves à la SNCF, RATP, Air France, Carrefour, les EHPAD, les retraités, les universités, etc. Lundi taxis et tracteurs bloquaient Paris et plusieurs grandes villes.
Certes, comme le dit toujours Besancenot, « on est très loin de la révolution mais c’est un mouvement d’ensemble, et çà ne peut pas faire de mal ».
Il y a sans doute du conjoncturel dans la convergence des luttes. D’abord la commune haine du Président et du nouveau Premier Ministre dont la cote a fondu en quelques jours. Ensuite la perspective des Jeux Olympiques : le sur-travail et le sur-risque ont un coût. Enfin le contexte européen, avec le désordre au sein de l’Union Européenne.
Mais je voudrais insister sur ce qu’íl y a de structurel : la convergence des luttes est le résultat inéluctable de l’Etat Providence.
Trois arguments justifient l’Etat Providence aux yeux de ceux qui le mettent en œuvre. L’un est économique, le deuxième est politique ; le troisième est idéologique.
L’argument économique n’a aucune valeur. C’est le keynésianisme qui persuade le pouvoir et le peuple que plus l’Etat dépense plus il y a de croissance : la demande publique est là pour compenser les carences cycliques de la demande spontanée, celle des consommateurs et des producteurs. Il n’y a aucun exemple historique du succès d’une telle politique, elle débouche logiquement sur le chômage et l’inflation. Car le temps de la relance et le temps de la conjoncture ne sont jamais en phase.
L’argument politique est plus solide. L’Etat Providence est de nature électoraliste : il faut séduire une clientèle d’électeurs en leur accordant des privilèges, qui se distribuent au bon moment et aux bons endroits
Les taxis avaient le monopole du transport urbain de personnes. Ce privilège n’était pas gratuit : le chauffeur doit avoir un permis spécial, la voiture publique doit avoir des caractéristiques précises, et le prix des courses est réglementé, notamment lorsqu’il s’agit de taxis transportant des personnes malades, avec remboursement par la Sécurité Sociale1 ? Voilà que des voitures über partent de Paris pour Marseille en transportant des fanatiques du « classico »2 Arrivés à Marseille ils revendiquent la qualité de « voitures de grande remise » (VTC) et ont alors le droit de transporter n’importe client. Les chauffeurs n’ont aucun permis spécial (s’ils en ont un), la voiture est n’importe laquelle, aucune licence n’est à présenter. Evidemment vous pouvez transposer cet exemple à un taxi über La Rochelle Toulon pour un match de rugby, ou Lille Avignon pour le Festival de Théâtre. Les intermittents du taxi gagnent mieux leur vie que les intermittents du spectacle ! L’affaire über a été lancée aux Etats Unis, et l’arrivée en France a été possible grâce à la compréhension de l’Etat. On comprend alors pourquoi les taxis marseillais bloquent toutes les issues de Marseille.
On comprend aussi la colère des paysans. Ils bénéficient de nombreux privilèges, car c’est une clientèle électorale bien ciblée géographiquement et bien encadrée syndicalement. Les paysans peuvent faire basculer les votes dans de très nombreuses circonscriptions françaises. Ils ont donc hérité de ce qui passait avec le traité de Rome comme un privilège : la Politique Agricole Commune, c’est-à-dire des prix de nombreux produits fixés par Bruxelles, à un niveau supérieur à celui d’un libre marché, et surtout supérieur à celui des produits importés. Ce privilège a été étendu à tous les pays membres de l’Union, de plus en plus nombreux, de sorte qu’il y a eu de plus en plus de concurrents pour les Français. Les paysans Français ont de plus été pénalisés parce que le privilège a été poussé un peu loin : pour garantir la diversité biologique et dans le cadre du « green deal » voté par le Parlement, les paysans français ont été «autorisés» à respecter des normes écologiques plus sévères que celles en vigueur ailleurs en Europe, et bien sûr ailleurs dans le monde. Donc Paris a toujours ajouté une dose de « privilèges » à ceux qu’avait prévus Bruxelles. Un privilège qui a fait beaucoup de bruit a été le prix du GNR (gazole non routier) : voilà qu’on a pensé le supprimer. Quant aux privilèges de la PAC, ils disparaissent progressivement : les 50 milliards prévus dans le budget européen n’arrivent ni en temps voulu ni en montant prévu aux petites exploitations familiales. Enfin, les jachères imposées par le hreen deal écologique sont une aberration, et les paysans français ont déjà mesuré en deux ans ce qui leur en coûtait. Pour aller jusqu’à_ bout des privilèges je me dois de rappeler celui du « meilleur système social au monde », appelé Sécurité Sociale : les prélèvements obligatoires et la complexité du droit du travail et du code rural rendent le coût de l’emploi si élevé qu’ils détruisent la compétitivité internationale.
Evidemment on peut s’interroger sur les raisons d’une explosion aussi soudaine. C’est que l’Etat Providence est lui-même en perte de compétitivité. Les dépenses publiques ont tellement gonflé depuis 2017 que les déficits budgétaires de l’Etat n’ont jamais pu se situer en dessous de 3% du PIB, et que la dette publique est à 120 % du PIB, ce qui est le double de ce qui est exigé par les règles européennes. La réponse du pouvoir politique français a été depuis des années de plaider l’harmonisation, c’est-à-dire l’alignement du reste de l’Europe sur les règles et dépenses françaises. Mais il y a des pays « frugaux », qui n’ont aucune envie d’imiter Paris, et n’entendent pas subventionner l’Etat Providence français. Ils seront taxés de « concurrence déloyale », puisque dans l’esprit français la concurrence implique la rigoureuse égalité entre les concurrents3 .
Reste enfin la composante idéologique de l’Etat Providence. C’est celle qui anime Besancenot : la révolution prolétarienne. La Confédération Rurale était aussi dans le même état d’esprit, à la différence des syndicats traditionnels FNSEA et Jeunes agriculteurs. Il s’agit de renverser le système capitaliste, ou encore le modèle occidental. Le marché doit disparaître, parce qu’il creuse l’écart entre riches et pauvres, entre entrepreneurs et salariés. L’égalitarisme, le collectivisme et la planification seront les bases de la nouvelle société. Cette idéologie est de plus en plus populaire parce qu’elle inspire l’école, le droit du travail, la santé publique, le logement social : tout ce qui fait la beauté d’un pays totalitaire, sur le modèle de la Russie et des pays membres de l’alliance islamo-communiste. Poussé à son extrême logique l’Etat Providence écrase les droits individuels et la liberté personnelle. Cela vaut bien qu’on s’en occupe.
1 En échange de ce privilège les taxis médicaux remboursent une « prime » à la Sécurité Sociale , elle varie suivant les municipalités, elle est entre 10 et 20 % et elle varie aussi suivant la durée de la course.
2 Match OM-PSG
3 Cf. mon article Concurrence déloyale ? Non : Concurrence faussée En politique comme en science les mots et les expressions ont un sens. Fondamentaux 30 janvier 2024
Immense merci !