Tout le monde avait salué avec émotion et déférence cette reine qui avait accompli avec talent et efficacité son devoir de souveraine dans une monarchie constitutionnelle. Nous avions expliqué pourquoi elle avait rencontré un tel succès[1].
Peut-être sa célébrité et son héritage ont-ils aussi tenu au fait qu’elle n’a cessé d’assumer sa fonction, de tenir son rang. Elle a réussi là où d’autres, dont son propre fils Charles III, n’ont pas réussi. Le défi est de faire vivre un pays dans lequel monarchie et démocratie peuvent durablement coexister. On parle souvent de « monarchie constitutionnelle », et le Royaume Uni n’est pas le seul pays à s’être donné un tel régime : en Europe ils sont douze pays, dont sept membres de l’Union Européenne (Grande Bretagne, Espagne, Belgique, Pays Bas, Luxembourg Danemark, Suède). Certes l’étymologie n’est pas respectée, puisque monarchie suppose pouvoir d’un seul, or les monarques de ces pays n’ont plus aujourd’hui quelque monopole du pouvoir, souvent ils n’ont aucun pouvoir.
Alors qu’est-ce qui fait la mission et le succès du monarque, et de la Reine Elizabeth II ? C’est de défendre la nation contre les possibles débordements de la classe politique, et de tempérer ainsi les possibles excès de la démocratie représentative. Le monarque remet la politique à sa juste place : le gouvernement s’en tient à son rôle, assurer la sécurité des citoyens. Voilà une conception toute libérale de l’Etat : qu’il utilise la contrainte simplement pour protéger la vie, la propriété et la liberté des personnes. En revanche, le monarque témoigne de l’identité nationale. Les mœurs d’un peuple s’inscrivent dans une longue période et de façon progressive : les institutions propres au bien commun n’existent pas par décrets, mais par un processus historique d’essais et d’erreurs.
Il semblerait que Charles III veuille exercer son règne d’une toute autre manière. Il veut se mêler de la politique, et il a des convictions politiques. En particulier il est un écologiste de choc. Mais ses convictions inspirent son comportement : il a déjà constitué une équipe de personnalités partageant ses opinions et de nature à mettre en œuvre des changements décisifs dans la politique britannique. Mais c’est un jeu qui s’annonce très périlleux
1° Le Parlement anglais acceptera-t-il d’abandonner des prérogatives séculaires ? Les travaillistes eux- mêmes ne sont pas disposés à devenir des godillots
2° Le peuple anglais aura-t-il davantage confiance dans son roi que dans da classe politique. Certes cette classe est de moindre qualité que dans le passé, mais la popularié de Charles III n’est pas très assurée
3° L’Angleterre a deux dossiers au moins à résoudre : l’indépendance prévisible de l’Ecosse, et la situation de l’Irlande de Belfast, compliquée par le fait que l’Irlande de Dublin se veut européenne
4° Les conflits mondiaux peuvent se radicaliser, et la diplomatie britannique a toujours été en accord avec celle des pays anglo-saxons. Charles III sera-t-il le roi de ces pays, comme a pu l’être avec bonheur sa mère ?
5° restent enfin les discordes au sein de la famille royale.
Nous pensons que les touts prochains mois nous éclaireront sur le choix de la rupture ou le choix de la monarchie constitutionnelle, le régime le plus proche de la démocratie si l’on en croit une analyse faite par Bertrand Lemennicier sur 147 pays !
[1] La Nouvelle Lettre du 10 septembre 2022 La reine Elizabeth : une monarchie réussie