Libéré des contraintes et des contrôles parlementaires, syndicales et populaires, Emmanuel Macron va profiter de ces 100 jours pour réaliser les grandes réformes qu’il n’a pas réussi à imposer depuis six ans. Ce n’est pas de la démagogie (qui pourrait le croire ?) c’est du réalisme.
Emmanuel Macron est allé dans l’Hérault à la rencontre des enseignants. Il leur a dit toute son admiration pour le travail harassant qu’ils font et il comprend que leur rémunération n’est pas conforme à la justice sociale : trop mal payés, les professeurs d’écoles et de collèges doivent mobiliser la solidarité nationale. Donc, la promesse est formelle : entre 100 et 230 euros de plus, et nets, ce qui devrait mener le salaire annuel net à quelque 2.000 euros assez tôt dans la carrière. Toujours désireux d’être le plus près du peuple, c‘est donc dans une cour d’école que cette annonce a été faite. C’est « la plus forte hausse depuis 1990 », a commenté le Président, toujours discret et de bon goût. Dans la foulée, le Président a également réglé le problème des remplacements, des stagiaires, des missions exceptionnelles (des primes jusqu’à 500 euros)
Cette annonce est d’autant mieux venue que les enseignants vont avoir désormais à accomplir une autre mission : réussir la mixité sociale. Songez à cette école de campagne qui va accueillir les enfants des riches familles de Montpellier. Et, en revanche, pensez à tous ces élèves actuels
de Ganges qui vont se déplacer à Montpellier pour avoir des copains de la haute bourgeoisie héraultaise. Emmanuel Macron n’a pas manqué de rappeler tous les bienfaits de la mixité sociale, qui a déjà donné des résultats si spectaculaires (en particulier dans le Mirail à Toulouse)[1].
La générosité de la démarche présidentielle ne nous a pas échappé. Mais nous lui trouvons quelques démesures fonctionnelles, financières et politiques :
1° Démesure fonctionnelle : si les enseignants du public sont ainsi gratifiés, c’est parce que l’Education Nationale est en faillite. Faillite du savoir, avec des écoliers qui ne savent ni lire ni écrire ni compter. Faillite de l’éducation, avec les harcèlements, les violences et la drogue. Mais chaque fois qu’un service public obtient de mauvais résultats, les syndicats toujours très représentatifs expliquent que la faute en revient au manque de moyens et manque de personnel. La vérité n’est pas bonne à dire : plus personne ne veut venir travailler comme enseignants, parce que la vie scolaire est intenable. Le nombre de jeunes diplômés candidats aux concours d’enseignants est en chute libre depuis quelques années. C’en est au point que le CAPES n’est plus organisé, il est remplacé par une épreuve orale devant un jury qui va juger l’aptitude des candidats à communiquer : le savoir n’a aucune importance, ce qui compte est de savoir se faire accepter par la classe et par les parents. Quant à la mixité sociale, c’est une fable ou une révolution : l’initiative de Monsieur Pap Ndiaye ne pourra jamais être mise en œuvre, ou bien elle est de nature à faire exploser le pays.
2° Démesure financière : Bien que les journalistes du Monde estiment que les hausses de salaires sont insuffisantes, parce que parallèlement certaines primes vont tomber, et parce que l’avancement n’est pas assez rapide pour dépasser le seuil des 2.000 euros nets mensuels, les finances publiques vont encore être chargées de quelque 3 milliards d’euros dès la rentrée prochaine. Comme l’effort doit être soutenu jusqu’en 2025 cela représentera sans doute une bonne dizaine de milliards. Il est inutile de préciser que les recettes correspondantes n’ont pas encore été votées, une loi rectificative du budget 2023 sera nécessaire, et la dette publique se gonflera au lieu de se stabiliser (ce qui était déjà très douteux). Mais l’alibi est imparable : c’est pour améliorer l’enseignement public ; « quoi qu’il en coûte ».
3° Démesure politique : il faut appeler la mesure par son vrai nom : démagogie. Nous allons assister durant ces 100 jours (et peut-être au-delà) à une débauche de promesses électoralistes pour essayer de reconstituer une majorité présidentielle à l’Assemblée et à réduire les dégâts dans les consultations électorales à venir. C’est le règne du court terme, de l’irresponsabilité, c’est une trahison de la démocratie parlementaire, au bénéfice de la démocratie délibérative, puisque le président est gentiment assis entouré d’un cercle de notabilités souriantes et officielles, dans un décor champêtre : on, est entre bons Français, ensemble et en même temps, et en campagne.
[1] Je rappelle mon article paru le 19 avril 2023 dans la Nouvelle Lettre La mixité sociale : une vrai révolution, Le projet de Pap Ndiaye repose sur des illusions et des mensonges.