Notre Revue entre dans sa sixième année et nous pouvons nous réjouir de la bonne santé de cette plateforme sur laquelle les idées libérales peuvent être présentées, explorées et discutées. Malheureusement, depuis le début de cette aventure intellectuelle et humaine, nous avons dû déplorer le départ de quelques-uns de nos plus fidèles coéquipiers. C’est ainsi que, dans les pages de ce numéro, Jacques Garello rend hommage à l’œuvre et à la vie de Florin Aftalion qui nous a quittés il y a quelques semaines à peine.
Un trait de caractère a retenu particulièrement l’attention de Jacques Garello : Florin était un chercheur de vérité. Chercher la vérité doit, bien entendu, être la motivation première du scientifique – comme de tout individu qui se respecte. Mais l’on ne peut mener à bien cette quête sans cultiver certaines vertus au premier rang desquelles se trouve l’humilité. Plusieurs articles dans ce numéro nous rappellent, chacun à sa manière, cette nécessité.
On peut, par exemple, s’accorder sur les mérites d’un état de droit. La Rule of Law – ainsi que disent les Anglo-saxons – est sans doute un pilier fondamental de toute société civilisée. Mais ce savoir est insuffisant car, ainsi que l’explique Vladimir Dubrovsky dans son article sur l’Ukraine, le Droit ne se proclame pas, il vit sa propre vie. Alors pour mettre fin à la corruption et « faire régner » l’état de droit, il ne suffira pas de voter des lois anti-corruption ; il faudra aussi, humblement, étudier la situation dans laquelle se trouve le pays ou la région, afin de donner toutes ses chances à une évolution vers l’état de droit. […]
Une autre illustration de la nécessité de rester humble dans notre recherche de la vérité nous est offerte par Philippe Nemo dans son introduction à l’ouvrage du philosophe italien Enzo Di Nuoscio. L’humilité en l’occurrence consiste à ne pas négliger l’apport essentiel des humanités : philosophie, philologie, histoire, économie, sciences sociales, arts et littérature. Négliger cet apport appauvrit considérablement notre compréhension du monde, nous pousse à élaborer des théories « simplistes » sur le fonctionnement de nos sociétés et, in fine, nous expose immanquablement à des frustrations, voire à des catastrophes. Si l’on sait, à l’opposé, humblement puiser dans les immenses ressources que renferment les humanités, on saura éviter de tomber dans le piège résultant de ce que Di Nuoscio appelle « le paradoxe des attentes » et que Nemo présente ainsi : « La société démocratique libérale suscite, par ses succès mêmes, toujours plus d’attentes et d’espérances qu’elle n’en peut satisfaire ; plus elle tient ses promesses, plus, donc, elle en génère d’autres qu’elle ne peut réaliser dans l’immédiat. Mais si, pour surmonter cette frustration, on met en cause la démocratie libérale elle-même, on sera bientôt privé des moyens de conserver ce qu’on croyait avoir définitivement acquis ».
Car être humble ne signifie pas que l’on doit douter de tout, sinon l’humilité serait irréconciliable avec une démarche scientifique, ou plus généralement avec l’usage de la raison. Être humble c’est plutôt rester conscient des limites de son savoir. C’est une certaine attitude d’ouverture, de respect pour ceux qui, honnêtement et à leur façon, sont aussi des chercheurs de vérité.
En agissant de la sorte, en continuant à chercher la vérité et l’humilité, nous n’affaiblirons pas notre discours, bien au contraire, nous le rendrons plus fort et plus convaincant.