Il faudra s’habituer aux discours de Macron dans les trois années qui terminent son quinquennat. On pourra les lire et les commenter soit comme porteurs de réformes historiques qui démontreront aux générations futures que l’œuvre du Président a égalé celle des plus grands, des Louis XIV, Napoléon, De Gaulle, soit comme propagandes de circonstance pour sauver la macronie dans une conjoncture politique plus que défavorable.
La même question va se poser ce soir à propos de la création de 200 brigades de gendarmerie dans la France rurale : pourquoi une nouvelle apparition à la télévision ?[1]
Donc, jeudi dernier à Ajaccio Emmanuel Macron a lancé le mot et l’idée d’«autonomie ». Chez les Corses on distingue nettement les autonomistes de Gilles Siméoni et les nationalistes de Benedetti et Angelini. Les uns et les autres avaient pour héros et martyr commun Yvan Colonna, tué (par un islamiste) pendant qu’il purgeait une peine de prison à vie pour l’assassinat du Préfet Erignac. Mais aujourd’hui les nationalistes sont exclus du jeu mené par l’Elysée, puisque le parti de Gilles Siméoni a remporté les élections à l’Assemblée Corse : ils sont donc les seuls démocrates, les seuls avec qui Paris peut négocier.
Mais négocier quoi ?
C’est ici que les affaires se corsent. Il s’agit, dit Emmanuel Macron d’un « changement historique » des relations non pas de la Corse avec l’Etat, ni contre l’Etat, mais entre la nation Corse et la République Française. Comme la République Française est constitutionnellement définie comme « une et indivisible », je me demande où peut se trouver l’autonomie. Il faudrait au minimum modifier la Constitution et avoir les trois cinquièmes des membres du Parlement pour approuver le tournant historique, ce serait en effet historique.
Evidemment, une voix libérale pourrait se faire entendre et considérer Macron comme un nouvel apôtre de la subsidiarité, un Saint Paul Jacobin soudain converti aux libertés locales et à la réduction de l’Etat. D’ailleurs les membres du Congrès des régions de France réunis à Paris en même temps se sont empressés de demander aussi leur autonomie. « Non c’est une autonomie à la Corse » dit Emmanuel Macron, et en effet elle a ses particularités.
Parmi ses particularités il y aurait qu’elle s’inscrirait dans une histoire de résistance ; première à se libérer en 1943 (mais avec l’arrivée des Américains et des Pieds Noirs) elle a ses trois héros communistes, Emmanuel Macron va les honorer. Le Président nous a habitués avec sa lecture de l’histoire à partir de la gauche. Il a oublié de saluer la résistance des patriotes du colonel Thomaso qui en mai 1958 ont créé le premier Comité de Salut Public à Ajaccio (contre la IVème République et pour l’Algérie Française).
Donc, à l’issue de ces inégales considérations, je serais tenté de conclure au tournant historique.
Mais ne s’agit-il pas d’une épingle à cheveu ? Quelles sont les chances d’une quelconque suite, d’une telle audace ?
Tout d’abord les sentiments des Corses à l’égard de la France n’ont jamais été unanimes. Il y a au minimum l’opposition entre les bonapartistes et les paolistes, qui ont eu l’occasion de s’entretuer à plusieurs reprises, le Nord aura été plus près de l’Angleterre (pendant même que Napoléon faisait ses armes à Toulon) le Sud plus près de la France, sans compter des émigrés de toutes origines : Italiens, Grecs, Maltais. Il y a encore, plus caractéristique, le poids de la famille, des villages et des réseaux, ferments de règlements de compte permanents et de l’omerta respectée encore aujourd’hui.
De ce point de vue les indépendantistes ont raison : la Corse ne ressemble pas beaucoup aux provinces françaises et s’accommode mal d’un pouvoir lointain, elle est culturellement plus proche de la Sicile et de la Sardaigne.
Mais il y a des dispositions que les indépendantistes et les autonomistes veulent absolument conserver : ce sont les privilèges que l’Etat très lointain, celui de Paris, leur a accordés. La fiction de la continuité territoriale a conduit non seulement à réduire le prix des transports aériens autant que maritimes, mais aussi le droit immobilier (la qualité de « résident » qui assure le monopole de transaction aux Corses résidents sur l’île), et à assouplir le droit social pour améliorer la couverture santé grâce aux hôpitaux de Marseille et Nice.
Dans ces conditions je doute fort du suivi des discours présidentiels, pour la Corse comme pour le reste. Emmanuel Macron aime raconter son histoire aux Français, il veut faire des effets de manche. Il nous enivre de son verbe, aujourd’hui comme hier et demain. Il nous prend pour ses sujets, Corses ou pas. Il ne sait pas les impôts et les drames qu’il nous coûte. Je le répète sans cesse : l’Etat Providence a pour principal effet de dresser les catégories sociales, les minorités, les communautés, les unes contre les autres. Je connais, Dieu merci, assez de personnes et d’amis d’origine corse pour savoir qu’ils ne sont pas dupes des manœuvres politiciennes qui s’organisent autour de l’ile de beauté. Pour les libéraux, nulle autre origine, nulle autre valeur n’existe qui ne soit celle de l’être humain, dans la démonstration de sa personnalité, de sa dignité et de ses capacités au service des autres.
[1] Il y a incontestablement le désir d’instaurer le monopole de la communication, comme je l’ai rappelé dans mon article Les Messages climatosceptiques interdits dans les médias, une nouvelle censure : pour la bonne cause. Actualité 27 septembre