Je me dois d’offrir les lignes qui suivent aux millions de personnes qui n’ont pas eu le temps,ou l’occasion, ou l’envie de suivre en direct et sur toutes les chaînes de télévision la cérémonie à la mémoire de Dominique Renard. Je serais criminel de ne pas partager avec eux le bonheur et l’espérance que j’ai éprouvés, comme toutes les personnes autour de moi.
Certains de mes amis m’ont immédiatement téléphoné pour crier au miracle et jubiler
« C’est du fond de l’abîme que jaillit la lumière ».
Du plus profond de la France à la dérive, au moment même où la peur, la barbarie, et la peur de la barbarie ont atteint un pic inégalé depuis les horreurs des deux guerres mondiales et des dictatures totalitaires, voici sue quelque chose inattendu, insolite, incroyable s’est produit : le peuple de France a retrouvé son âme. L’expression n’est sûrement pas la meilleure, vous la prendrez comme vous l’entendrez. Faisons avec pour l’instant. Du coup les lignes qui suivent ne sont pas dédicacées à ceux qui ne savaient pas, mais aussi et surtout à ceux qui n’y croient pas, ceux qui se sont réfugiés consciemment ou pas dans le carpe diem, l’indifférence,le fatalisme, l’égoïsme. Vous aussi, vous allez tressaillir.
J’ai conscience de prendre un risque énorme. D’une part vous lirez mon ressenti, et il y a sans doute des messages qui m’ont interpelé et qui vous indiffèrent. D’autre part rien ne vaut le direct, mais vous aurez peut-être la bonne idée d’aller consulter toutes les (très récentes) archives, en particulier celles de LCI et de TF1 1 .
Arras d’abord : une ville indépendante et fière.
D’entrée de jeu, les édiles et les habitants d’Arras ont marqué leur volonté de réagir, à leur manière. Ils ne se sont pas laissés enfermer dans le piège de la géopolitique, ce n’est pas ce qui se passe à Gaza ou en Crimée qui est important, c’est ce qui pousse un jeune à poignarder un professeur et, à travers lui, la société et la religion qui ne veulent pas se soumettre à l’islamisme barbare. Il n’y a aucun doute : son geste a été préparé, accompagné, ce n’est donc pas celui d’un déséquilibré.
La cérémonie, d’un commun accord entre l’archevêque et la famille, ne devait donner lieu à aucune récupération politique ou partisane. Evidemment le Président de la République ne pouvait pas être écarté, il est venu en compagnie de son épouse avec beaucoup de discrétion, il s’est rapidement entretenu avec la famille. Mais à aucun moment les cameras n’ont été braquées sur le couple ni sur le ministre qui l’accompagnait. Les gens d’Arras ont su relever le défi : aucune bavure dans la cérémonie, des chants de tous les dimanches avec la chorale habituelle des paroissiens (parmi lesquels le professeur blessé en portant secours à Dominique Renard). Cela aura épargné aux téléspectateurs les commentaires « convenus » souvent inspirés aux journalistes par la pensée unique.
1 Je suppose qu’une publication complète des images et des textes sera sur le marché bientôt.
D’ailleurs Monseigneur Leborgne, archevêque d’Arras, a su dès le début placer la cérémonie au niveau le plus élevé : « Nous sommes abasourdis, mais nous sommes présents […]
Ensemble nous allons porter un acte d’espérance ».
Il aimait… nous nous aimions
La culture est un choix personnel
Epouse de Dominique Isabelle va le présenter à travers les ats et les auteurs qu’il aimait. Il aimait des écrivains et romanciers, il aimait la poésie, il aimait le cinéma (y compris Orson Wells), il aimait le baroque, il aimait les cathédrales, il aimait l’Italie, il aimait Giotto, le Caravage, il aimait Bach, Beethoven, Il aimait les peintres de Van Gogh à Manet, Il n’aimait pas l’informatique, il n’aimait pas la foule des hommes, il n’aimait pas les cérémonies, il n’aimait pas les réseaux sociaux, il n’aimait pas le téléphone : il n’en avait pas.
Il aimait les étangs, les rivières, les oiseaux. Il n’aimait pas le bruit et la fureur du monde. Il aimait profondément ses filles sa mère et sa sœur. Nous nous aimions. Isabelle a ainsi désigné ce qui fait une personne humaine : sa culture, sa curiosité artistique, sa recherche d’harmonie. Qu’est devenue la culture ? Qui lit, qui visite, qui écoute ? Ainsi chaque être humain est-il un trésor, le tuer c’est détruire le trésor accumulé. Mais sans doute la culture est-elle inutile et déconseillée quand les individus ne sont plus que des matricules. La masse des administrés n’a jamais créé un peuple.
Je crois aux êtres qui…
La sœur de Dominique et ses deux filles vont quitter le registre culturel pour en venir à ce qui fait la beauté, l’harmonie, l’amour : c’est la façon dont chaque être humain se comporte vis-à-visdes autres, et même par rapport à lui-même. Cette profession d’humanité se donne à trois voix :
« Je crois aux êtres sensibles et aimables » « Je crois aux êtres qui se guérissent et aident les autres à guérir ».« Je crois aux êtres dont l’ambition la plus haute est de rendre l’autre heureux ». « Je crois aux êtres qui cherchent avec tant d’errances la paix intérieure » « Je crois aux poètes, aux mages, magiciens et artistes qui aiment chanter et voient la vie comme une fête ». « Je crois aux êtres humains esclaves de leur propre blessure et qui malgré leur douleur la nettoient sans jamais trahir leur cœur » « Je crois aux êtres humains qui connaissent leur intuition et s’en servent comme boussole » « Je crois aux êtres libres qui partagent leur liberté parce qu’ils ne connaissent pas d’autre façon de vivre » « Je crois aux êtres humains imparfaitement parfaits parce que c’est dans cette imperfection que réside leur beauté »
« Je crois aux êtres sensibles qui savent recevoir et donner un amour en équilibre, qui écoutent et qui parlent aussi ». « Je crois aux êtres qui vivent la sexualité comme un acte sacré parce qu’ils savent que c’est un don merveilleux, où est inscrit l’alchimie de la culture». « Je crois aux êtres qui ont des sentiments clairs, accessibles et pour eux-mêmes et pour les autres ». « Je crois aux êtres dont la vie est un art, qui embellissent tout sur leur passage, et qui charment avec leurs dons ».
Dominique au quotidien
Aurélie, ancienne collègue de Dominique, va rappeler les mille détails qui faisaient de lui un professeur et un collègue aimés de tous. Elle évoque son humour, il ne perdait jamais l’occasion de faire une vanne. Elle s’émerveille de la façon dont il pouvait calmer une classe un peu excitée, il ne se servait en fait que de sa gentillesse, il possédait une « autorité »,
c’est-à-dire le sentiment qu’il pouvait apporter quelque chose à chacun ; une leçon pour les élèves, un conseil pour les collègues. Son désir n’était pas de se placer, mais de transmettre.
Sa modestie était aussi proverbiale que son aménité. En effet le voici promu au rang de
« porteur de flambeaux» comme aurait dit Victor Hugo et lui, le plus simple et le plus
modeste, le voici maintenant dans le rôle d’un héros.
Que nous est-il permis d’espérer ?
Question posée par Emmanuel Kant. C’est Monseigneur Leborgne qui l’évoque et va répondre dans une remarquable homélie. Dominique Renard était inquiet de l’évolution de l’éducation et de l’enseignement ainsi que de l’évolution de la société. Question redoutable aujourd’hui : nous sommes tous abasourdis, quand donc s’arrêteront la violence et la folie du monde ? C’est une tornade dont l’itinéraire est imprévisible. Nous nous sentons dépouillés à travers et par la peur dont le dramatique achèvement est la résignation ou le repli sur soi.
Monseigneur Leborgne se réfère alors au thème de la célèbre épitre de Saint Paul : s’il me manque l’amour je ne suis rien. C’est d’amour dont nous avons besoin, et pas de haine ni de violence. L’histoire l’apprend : toujours plus de haine et de violence conduit à toujours plus de haine et de violence , ce constat n’a jamais été démenti. Il ne faut pas donner raison à la barbarie. Selon St Paul la perte de l’amour est une aliénation, elle détruit le respect de la dignité humaine. C’est dans le désert de sens que naissent les sorcières des régimes totalitaires. Le mal vient de l’autre, il faut le supprimer !
Le christianisme n’est pas une morale, même si l’éthique est toujours présente dans la foi. Le christianisme n’est pas une doctrine, même s’il a besoin de mots et de concepts. Le christianisme est une rencontre, un évènement. Dieu s’engage définitivement pour
l’homme. Il vient partager notre vie jusque dans notre mort, et c’est la seule façon de comprendre la puissance de sa résurrection. Saint Paul précise : même si j’avais une foi à transporter des montagnes si je n’ai pas l’amour je ne suis rien. L’amour est un engament de la liberté.
L’archevêque rappelle un livre dont il avait préparé la lecture pour le bac : « Monsieur Ouin » deBernanos. Ni oui ni non : quelqu’un se refuse à la liberté par son indétermination maladive, il n’a pas le courage de la vérité. Seule l’éducation initie à la liberté, rend capable d’engagement et relance sur les chemins de l’espérance.Il faut cependant faire encore un autre pas : celui de l’espérance. On ne peut se désespérer du fait que le réel ne se plie pas à nos volontés, il faut abandonner tout esprit de domination.
L’espérance exclue aussi toute résignation, elle nous donne une force insoupçonnée :
« Heureux les pauvres de cœur ». Dans les Béatitudes Jésus tient pour heureux celui qui consent à ne pas tout maîtriser sans jamais se résigner, celui qui brûle au feu vif de la charité et pleure du mal du monde sans jamais s’y résigner. Ainsi celui qui espère jouit d’une ouverture inattendue et d’une puissance insoupçonnée, née d’une transcendance qui le traverse et l’habite. Se découvre le visage de Jésus mort et ressuscité.
L’amour et la paix s’ouvrent de ses promesses. N’aies pas peur de tes peurs, aies l’audace de la justice Tu dois et tu peux, je crois avec toi. Il est toujours possible d’espérer. Comme le disait Péguy la foi c’est l’espérance.
« Que le Seigneur fasse de nous des hommes et des femmes d’espérance »
L’âme de la France
J’ai accumulé ces notes au fil de cette cérémonie, Je l’ai fait avec plus ou moins de rigueur ou d’élégance. Mais je suppose qu’il y a chez chacun de vous, lecteurs de ces longues lignes, le désir d’espérer. Nous devons prendre conscience que quelque chose est en train de changer dans notre
France, fille aînée de l’Eglise : ne plus avoir honte de se dire chrétien, rappeler et démontrer que le christianisme est avant tout la religion de l’amour. Introduisons dans nos propres consciences d’abord, dans nos familles et nos amitiés ensuite, ces thèmes de la dignité et de l’unicité de l’être humain. Vous verrez que le message portera, il est en effet transcendé par la vérité divine, vers laquelle les êtres humains sont en maladroite mais enrichissante recherche.