Le débat budgétaire s’est organisé à partir d’un montant de la dette publique de 3.101 milliards d’euros, soit 110,6 % du PIB suivant les chiffres fournis par la Banque de France. Il a été rappelé ces dernières semaines que le service de cette dette avait représenté 50,1 milliards en 2023 et devrait s’accroître cette année pour avoisiner les 70 milliards, la première dépense inscrite au budget de l’Etat. Depuis les élections de 2017 la dette aurait dérapé de quelque 1.000 milliards d’euros et Bercy ne s’en serait pas aperçu parce que ses
Logiciels n’étaient pas les bons1. Bruno Le Maire se défend de toute responsabilité dans ces légers glissements, il fallait sauver les Français du Covid et nos entreprises de la faillite.
Nous venons de découvrir un article signé Gabriel Gaspard paru dans Tribune2 le 4 novembre dernier qui a un double intérêt :
– D’une part il chiffre la véritable dette française à 10.000 euros environ : comment ?
– D’autre part il propose une relan-ce des investissements publics : pourquoi ?
Les dettes cachées
La comptabilité nationale est passée pour une innovation remarquable pour la science économique dominante dans les années 1950. C’était l’une des matières obligatoires enseignées dans les cours de première année en droit, économie et finances. La comptabilité nationale était un instrument indispensable à la science économique vue par Keynes : macro-économie et planification (Léontief, Tinbergen, et en France Jean Marczewski). L’auteur de l’article nous ramène à cette vieille approche et va faire défiler les « agrégats » (grandeurs globales) qui permettent d’avoir une plus juste idée de ce qu’est véritablement la dette publique française.
1. La dette hors bilan 4.188 milliards : ce que l’Etat devra payer pour les retraites des fonctionnaires et des entreprises publiques (SNCF, RATP) chiffre établi par la Cour des Comptes.
2. La dette isolée de la Sécurité Sociale dont une partie (145 milliards) -est gérée par la CADES (Caisse d’Amortissement de la sécurité Sociale). L’articulation entre cette dette et celle de l’Etat n’est pas très nette comme le démontre un article de Jean Pierre Robin dans le Figaro du 23 septembre se référant à l’ancien directeur du Trésor jean Pascal Beaufret.
3. La dette des entreprises du secteur public 238.525 milliards à fin 2023 chiffre de l’APA (Agence de Participation de l’Etat). L’Etat est nécessairement caution des entreprises dont il est l’actionnaire, et souvent le seul actionnaire : SNCF, EDF etc.
4. La dette du déficit commercial serait de 00,6 milliards d’euros. En effet dans la comptabilité nationale keynésienne on considère les exportations comme une bonne chose et les importations comme une perte. Mais la réalité économique est exactement inverse. Bastiat avait démontré que le déficit de la balance est une bonne chose, puisqu’on peut se procurer des biens et services que nous n’avons pas ou que nous aurions à un prix supérieur. L’histoire de Ricardo sur le vin et le drap n’a aucun sens, la « spécialisation internationale » chère à Maurice Allais pas davantage.
5. Les dettes cachées. Elles se monteraient à 76 milliards d’euros. Ce sont les dettes que la France aurait à rembourser à l’Europe si l’Union ne parvenait pas à prélever des impôts européens suffisants pour financer les Etats membres. Cette substitution éventuelle d’impôts nationaux par des impôtss européens est tout de même aléatoire. Dans les dettes cachées figureraient aussi les dotations que le FMI a versées à la France.
6. Les dettes invisibles : elles ne sont pas chiffrables, dit l’auteur de l’article, mais elles sont considérables : c’est tout le gaspillage de l’épargne française qui ne s’investit pas alors que l’investissement public serait la seule façon de sortir de la crise. Ici l’auteur nous livre un message purement keynésien, on ne saurait suivre cette politique.
En faisant le total de ce qui nous semble justifié, les rubriques 1, 2 et 3 nous semblent concrètes et crédibles. Cela représenterait donc un déficit public total d’environ 4.600 milliards d’euros. C’est loin des 10.000 milliards annoncés, mais c’est tout de même beaucoup.
La relance des investissements publics
Nous voici maintenant dans la plus ancienne version du keynésianisme, Keynes lui-même l’a reniée dès 1944 : pour obtenir le plein emploi menacé par l’excès d’épargne des ménages (« insuffisance de la demande globale spontanée ») il faut accroître la dépense publique. Quelques milliards injectés dans le circuit global vont créer des revenus et relancer la demande globale : c’est le « multiplicateur d’investissement » qui à notre sens ne figure plus dans les manuels courants de science économique3, mais qui est encore en bonne position dans les cours de Sciences Po, ENA etc. Statistiquement, voilà des décennies que la « courbe de Phillips » s’est inversée : c’est dans les pays où la dépense publique est la plus importante qu’il y a le plus de chômage.
Le mérite de Gabriel Gaspard est de nous indiquer, par contraste, ce qu’il faudrait faire pour restaurer les finances publiques françaises dès maintenant. L’auteur fait remarquer à juste titre que les Français, traditionnellement bons épargnants ont chaque année accumulé davantage d’euros dans les livres A des caisses d’épargne et des banques.
La raison en est simple : c’est l’insécurité qui caractérise la France actuelle. Insécurité physique avec l’accroissement de la violence, de la criminalité, insécurité politique avec une classe politique divisée et irresponsable, et surtout insécurité économique avec la peur d’un chômage et, pire encore, la peur d’une faillite du système de retraite par répartition.
Mais cette épargne massive a trois inconvénients :
1. Elle oblige beaucoup de ménages à se serrer la ceinture, le pouvoir d’achat immédiat est abaissé en quelque sorte de 17 %
2. Elle est sensible à l’inflation, dont le taux pourrait repartir si la Banque Centrale Européenne revenait à la politique expansionniste qu’elle a pratiquée jusqu’à une période récente, contrairement à ses statuts. Aujourd’hui le taux d’inflation est scandaleusement devenue la politique d’ajustement, les pensions sont appelées à ne â être indexée pendant quelques mois. En rapport avec l’inflation l’épargne est également pénalisée par le prix de l’immobilier, cette-fois ci la BCE oblige les banques à réduire leurs crédits aux ménages pour les aligner sur leurs fonds propres
3. Mais c’est surtout ce que l’Etat français fait de cette épargne qui freine la croissance et prolonge la crise financière. En effet tout l’argent des livrets A passe par la Caisse des Dépôts et Consignations (au prétexte d’en garantir la sécurité). Mais la Caisse travaille avec la BIP. Banque des investissements publics ? Et c’est précisément parce qu’ils sont publics que ces investissements freinent la croissance. Il n’est qu’à mesurer les 636 milliards qui sont mis par cette voie (appelée « épargne réglementée ») à la disposition du ministère de la transition écologique4 . Voilà encore des milliards obtenus avec des méthodes innovantes : émettre des obligations vertes (« le plus grand marché d’obligations vertes souveraines au monde » dit le Ministère), « verdir l’IRS (Investissement Socialement Responsable » et enfin activer le PEAC (Plan d’Epargne Avenir Climat) pour orienter les investissements privés vers la décarbonation de l’économie, conformément aux accords de Paris COP 21.
Nos gouvernants ignorent totalement le processus de marché par lequel les entreprises existent et se développent. Ceux qui entreprennent ont pour mission de servir la communauté des clients, de satisfaire la multitude de besoins, de goûts, de moyens en réunissant le travail et le capital nécessaires. Ils accomplissent cette mission à condition de ne pas être découragés par les pressions fiscales, réglementaires et financières qu’ils subissent. Le travail fait défaut, souvent du fait de la législation. Le capital est aspiré par les investissements publics. Dans ces conditions, et contrairement à ce que dit la propagande officielle il n’y a pas d’attractivité pour les capitaux étrangers. Ainsi la créativité et la productivité de milliers de Français ne peuvent s’exprimer, les plus jeunes, ou les plus dynamiques ( ou les jeunes dynamiques ) vont exercer leur énergie, leur talent, leur savoir à l’étranger ou arbitrent entre travail et loisirs : les week-end se multiplient et se prolongent.
Par contraste destiner l’épargne à financer les entreprises privées sera dans un proche avenir le seul moyen de faire redémarrer une croissance qui se traîne. Moins d’impôts, moins de « social », moins de bureaucratie : la production peut repartir, les recettes fiscales vont augmenter et les finances publiques vont s’améliorer et la dette va se réduire. Ce passage à la raison, caricaturé comme passage à l’austérité, a mis moins d’une décennie pour se réaliser dans la plupart des pays. Encore faut-il commencer et persister.
1 Cf. l’article de Jacques Garello dans la Nouvelle Lettre du 24 octobre (Fondamentaux) Les dérapages budgétaires dus aux « modèles » de Bercy. Quand va-t-on en finir avec la macro-économie mathématique ?
2 Tribune a été longtemps un journal financier quotidien issu de l’Agefi. Il s’est ensuite converti en quotidien se voulant indépendant, mais sensible aux fréquents changements de propriétaires (de Bernard Artaud à Jacques Saadé actuellement). L’orientation politique de la rédaction est proche de celle du Monde.
3 Le très célèbre manuel de Paul Samuelson, pourtant keynésien, ne reprenait plus le terme de multiplicateur.
4Voici une citation officielle qui illustre le gaspillage de l’épargne : Les capitaux placés sur les trois livrets d’épargne réglementée sont mobilisés pour financer la transition : livret A, livret de développement durable et solidaire (LDDS) et livret d’épargne populaire (LEP). L’encours total de ces trois livrets était de 636 Md€ en décembre 2023.