On attendait avec impatience cette date du 2 juin : l’agence de notation Standard & Poor, la plus célèbre au monde[1] devait faire connaître son verdict. Le résultat est en apparence excellent : après le déclassement de l’Etat français par l’agence Fitch la semaine dernière[2] on pouvait craindre une confirmation avec la note de Standard & Poor.
Tout de suite Bruno Le Maire a fait savoir qu’il s’agissait d’une excellente nouvelle : la finance internationale continue à faire confiance à la politique menée par le gouvernement français.
Certains journalistes ont même assuré avec quelque hâte que cette note était la reconnaissance du succès de la réforme des retraites, d’ailleurs on entendra très souvent ce couplet chez les partisans d’Emmanuel Macron, et Elizabeth Borne : les syndicats n’auront qu’à se taire et se bien tenir, la grève du 6 juin est déplacée puisque les financiers du monde entier approuvent la réforme. Qui croire : la CGT ou S&P ?
Une fois les impacts politiques de la note évoqués, il faudrait tout de même en revenir à la situation dramatique de la France, endettée au-delà de toute mesure – du moins en Europe.
La dette publique a des coûts considérables, elle devra être réduite mais avec un programme de rupture, et ce qui est vrai pour la France l’est aussi pour les Etats Unis, qui sèment les germes d’un désordre financier mondial.
Coût de l’endettement
Plus récemment un excellent article du Professeur honoraire Jean Yves Naudet[3], monétariste de l’Université d’Aix Marseille, rappelait les divers visages du coût de l’endettement :
a) Globalement l’endettement de la France est de 3.000 milliards d’euros, soit 44.000 euros par tête d’habitants.
b) Le seul paiement du « service de la dette », c’est à dire des intérêts qui doivent chaque année être versés à ceux qui nous prêtent, se monte en ce moment à 50 milliards d’euros : c’est le poste le plus important du budget de l’Etat, plus gros que celui de l’Education nationale
c) Mais puisque la dette publique a commencé à se pratiquer depuis des décennies, il faut en 2023 rembourser non plus seulement les intérêts mais le principal (le capital emprunté au cours des années antérieures) : par exemple rembourser les emprunts réalisés en 2013 à échéance de 10 ans. Cette année le remboursement du capital représente 156 milliards d’euros
d) Mais comme le déficit du budget 2023 est de 158 Milliards d’euros, il faut aussi emprunter de quoi couvrir ce déficit, puisque tout accroissement d’impôt est pour l’instant impensable compte tenu des recettes fiscales très insuffisantes, mais qu’il est impossible d’augmenter pour des raisons électorales, mais aussi à cause de la progressivité de certains impôts qui diminuent l’activité de nos ménages et de nos entreprises, donc la « matière fiscale »
e) De la sorte c’est au total plus de 300 milliards que cette année l’Etat français devra payer pour la dette publique
Evolution du coût
Cet énorme coût ne manquera pas de s’accroître dans l’avenir.
La première raison est mathématique : puisque le déficit augmente chaque année, le montant global de la dette ne cesse de croître, et son service sera de plus en plus coûteux.
Mais une deuxième raison tient au niveau de taux auquel l’Etat français va emprunter. Et c’est ici que la notation devient primordiale : quand l’emprunteur n’inspire plus confiance le prêteur exige des taux d’intérêt plus élevés, donc le service de la dette augmente. Il y a ainsi autant de taux qu’il y a d’Etats et ceux qui ont les meilleures notes ont un avantage (spread) sur ceux qui sont plus mal cotés. Alors que les Allemands sont à A+ nous sommes à AA- dans la notation Fitch (S&P nous gardent AA).
Il y a enfin un troisième facteur, peut-être le plus déterminant : c’est la politique des banques centrales. Compte tenu des risques d’inflation précisément provoqués dans des Etats où la rigueur économique n’existe pas et où les déficits sont croissants, les banques Centrales de la plupart du monde ont augmenté les taux d’intérêt. Ils étaient proches de 0 à 1il y a un an (nous avons même connu des taux d’intérêt négatifs), les voici actuellement autour de 3 % . Chaque point de taux représente 30 milliards d’euros !
La dette sera de plus en plus ruineuse dans les prochains mois.
Evolution de la dette
Les Banques Centrales ne rendent pas service à l’économie des pays concernés. En particulier la Banque Centrale Européenne (BCE) non seulement accepte d’aider les pays les plus endettés (ce qui est contraire à ses statuts) mais elle veut obliger les banques de la zone euro à accumuler leurs fonds propres, donc à diminuer les crédits qu’elles accordent ; l’immobilier enfait les frais actuellement ne France. Cela signifie que les crédits ne sont plus liés à la rentabilité mais à des priorités souvent politiques, suivant les secteurs que l’Etat entend protéger ou soutenir (transition énergétique par exemple).
Dans ces conditions, la dette ira sans cesse croissant. A partir de là deux scénarios sont possibles : continuer la fuite en avant et finalement ne pas rembourser la dette, ou supprimer les déficits en réduisant la sphère de l’Etat.
Le premier scénario a la faveur de beaucoup d’économistes et politiciens français : la dette publique est par nature sans danger, car aucun créancier ne peut assigner un Etat devant un juge de commerce : ne pas rembourser une dette publique n’est pas un crime contre l’humanité. Evidemment cela peut se soutenir, mais comme le dit Jean Yves Naudet c’est un canon à un coup. Un Etat mauvais payeur ne trouvera plus de prêteur – c’est ce qui s’est produiten Grèce, ce sont les autres pays de la zone euro qui ont payé pour les Grecs. Un autre exemple est celui des emprunts russes émis avant 1914 à une économie en plein essor industriel, l’arrivée au pouvoir des bolcheviks a annulé la dette et les Français, épargnants massivement nantis en emprunts russes, ont tout perdu. Mais l’idée que la dette est une bonne chose sans danger hante les esprits de la plupart des économistes français élevés dans la théorie keynésienne, suivant laquelle l’endettement de l’Etat conduit au plein emploi et relance l’économie – ce qui ne s’est évidemment jamais produit dans l’histoire.
Par opposition au modèle français, le deuxième scénario peut s’appeler le modèle suisse, puisque dans ce pays les déficits du budget fédéral sont interdits, ce qui évidemment suppose que le gouvernement supprime toute dépense autre que celle d’assurer quelques rares missions régaliennes[4]. Il n’y a pas d’Etat Providence en Suisse, alors qu’en France les dépenses sociales représentent 52 % de l’ensemble des dépenses publiques. Ainsi, progressivement une frontière s’est-elle créée à l’intérieur de l’Union Européenne entre les pays « frugaux » (sans déficit) et les autres (dont la France est le leader incontesté).
Le désordre financier mondial
Il faut aussi quitter les rives de l’Europe pour aller de l’autre côté de l’Atlantique et s’inquiéter de ce qui se passe à Washington actuellement. A la Chambre des Représentants jeudi dernier un accord est intervenu entre la Maison Blanche et les Républicains (majoritaires, dont le leader est Kevin Maccarty) pour faire sauter pendant deux ans le plafond de déficit budgétaire, parce que le Trésor américain aurait été dans l’incapacité de payer ses dettes. « C’est une grande victoire pour l’économie et pour le peuple américain », a déclaré le Président Biden. La Secrétaire du Trésor Janet Yellen n’a pas fait de détail : ce sont des milliards de pertes évités et des millions d’emplois conservés. Il est vrai que les Américains sont en campagne électorale et il faut faire comme si tout allait bien à Washington.
Mais rien ne va à Washington puisque depuis 2008 les Américains vivent à crédit, avec des déficits un peu plus élevés que les nôtres (120 % du PIB américain contre 110 % pour le nôtre). Mais le pouvoir américain a le sentiment que la confiance dans les Etats Unis est soutenue par la confiance dans le dollar : qui peut imaginer qu’on puisse se passer du billet vert ?
En fait, le dollar a été dévalué à plusieurs reprises, mais à des périodes où il était la seule liquidité mondiale : toute transaction impliquait l’usage du dollar. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et la Chine avec le Yuan peut menacer le dollar : la guerre monétaire peut accompagner la guerre économique. Mais le plus grand risque qui menace l’économie et la paix mondiales est la pression permanente des Etats qui déforment voire suppriment le libre-échange. Le désordre monétaire conduit à l’inflation, c’est-à-dire au mensonge, à l’injustice et à la corruption, c’est ainsi que la deuxième guerre mondiale s’est produite, c’st ainsi que périssent les civilisations.
[1]On évoque souvent l’indice Daw Jones pour mesurer les cours à Wall Street, mais il faut savoir que l’indice Standard & Pool a une importance au moins égale, cette agence bénéficie d’une très bonne réputation, son verdict est donc plus significatif que celui de Fitch.
[2]Cf. notre article Dette publique : les créanciers nous font moins confiance Catégorie Actualité 2 mai 2023
[3]Jean Yves Naudet Contrepoints du 30 mai La dette publique : dangereuse et immorale
[4] Le « frein à l’endettement « est un principe constitutionnel de la Fédération