Dans le Figaro Vox du 29 avril paraissait un appel tout à fait novateur. Il a surpris notre vigilance, et nous devons nous en excuser auprès de nos fidèles lecteurs car il s’agit sans doute d’un texte qui figurera longtemps dans l’anthologie de la pensée française, et bien française. C’est tout et le contraire de tout, c’est tous et le contraire de tous.
Le texte est d’abord novateur dans la liste des 50 signataires. Dans sa présentation la rédaction du Figaro insiste sur le fait qu’on trouve côte à côte Arnaud Montebourg, socialiste bien connu et Marcel Gauchet, plutôt méconnu, philosophe et historien qui passe pour intellectuel d’extrême droite. On trouve des hommes politiques connus mais souvent opposés comme Nicolas Dupont-Aignan et Julien Aubert, Madame Lienemann et Monsieur Pierre Mazaud, Michel Onfray est aussi de la partie.
Le texte est également novateur par sa longueur : trois pages de textes et trois pages de signatures c’est assez inhabituel pour une tribune. Plusieurs paragraphes sont sans aucun intérêt, comme l’énumération des projets et des textes du Parlement européen et de l’Assemblée Nationale française en 2023.
Mais la novation n’est pas que dans la forme, elle touche aussi le fond. Il s’agit d’un appel pour la défense de la souveraineté nationale et contre le fédéralisme.
Tout d’abord la référence à la souveraineté nationale est commune à presque toute la classe politique de notre pays, d’Emmanuel Macron à Marine Le Pen : patriotisme français contre supranationalisme européen, voilà un constat significatif et source de concorde. Evidemment il n’est pas question pour les libéraux de nier la dérive supranationale de Bruxelles, mais c’est au nom de la liberté des échanges et du marché commun – ce qui n’est même pas évoqué dans l’appel. En réalité défendre l’originalité française, fût-elle stupide, est électoralement payant.
Encore plus surprenante est l’acte d’accusation contre le fédéralisme européen. Le titre est clair : « le tour de vis fédéraliste de l’Union européenne », un sous-titre évoque « le rêve de quelques-uns d’une Europe fédérale. Et le gaullisme serait lui aussi hostile au fédéralisme. Ici nous n’avons plus compris, il faut nous habituer à ce nouveau vocabulaire, à ce nouveau fédéralisme. Sans aller jusqu’au plus profond de la littérature en droit public international, le fédéralisme est en général considéré comme un gardien des institutions nationales contre un pouvoir supranational. Certes une fédération n’est pas une confédération (qui autorise le droit de sécession, un Etat pouvant quitter l’union quand il le désire) mais elle est plutôt du côté de la liberté. Nos signataires se seraient-ils subrepticement ralliés au libéralisme, ou bien ont-ils pris un mot pour un autre ?
Notre question peut paraître à son tour stupide. Mais elle est peut-être la clé de cet appel : pour réunir des personnes et des idées si dissemblables, il faut choisir la fuite en avant, et brouiller les cartes. L’union et la cohésion s’obtiennent par l’incohérence. Emmanuel Macron est un expert, il a fait école.