Une société de libertés doit trouver un équilibre entre le tout interdit et le tout permis. Evidemment les libéraux se mobilisent en permanence contre les débordements de l’Etat, devenu non seulement Etat Providence mais aussi Etat Nounou (le fameux nursing) qui nous dit ce qu’il faut manger, comment il faut dormir, où passer ses vacances, quel vaccin il faut administrer, etc. Pour autant, et à la différence des libertariens extrêmes, les libéraux classiques ne pensent pas que tout soit permis à tout le monde, parce que la liberté exige aussi le respect des autres personnes, de leur vie, de leur propriété, de leur dignité. C’est pour cela, et pour cela seulement, que le monopole de la coercition a été reconnu à l’Etat : il est le seul à pouvoir utiliser la force pour défendre les libertés individuelles. Encore l’Etat doit-il agir à titre préventif, dans le cadre du pouvoir législatif qui définit clairement les interdits ; l’action punitive est dans la mission « régalienne » du judiciaire et de l’exécutif. Enfin, les pouvoirs de justice et de police sont en général mieux exercés quand ils sont confiés à des instances locales.
La consommation impunie, voire encouragée
Pourquoi ce rappel de principes libéraux classiques ? Ils s’imposent après l’accident provoqué par un conducteur chargé de cocaïne, qui ne faisait pas mystère de son addiction. Cela signifie que la vie de trois personnes, dont un enfant à naître dans les heures suivantes, a été atteinte par l’irresponsabilité et l’impunité d’un drogué. Il s’agit bien d’impunité, car si le droit positif français pénalise le trafic de drogue, il ne poursuit pas sérieusement les drogués, même ceux qui consomment des drogues dures, que ce soit en privé ou sur la voie publique. Je donne ces dernières précisions parce que d’une part celui qui se drogue dans sa maison a toute possibilité d’en sortir (c’est bien ce qui s’est passé en l’occurrence) d’autre part il est ridicule de distinguer drogues dures et drogues « douces », puisque l’addiction à celles-ci conduit assez fréquemment à aller vers celles-là.
Le législateur français (le Conseil d’Etat en l’occurrence, juridiction d’exception inadmissible dans un pays libre) a fait preuve de créativité : il a autorisé la circulation et la consommation de flacons de CBD (cannabidiol) « tant qu’on n’a pas atteint l’ivresse du THC (tétrahydrocannabinol) » substance active du cannabis responsable de ses effets délétères.
Pour soutenir le jugement du Conseil d’Etat le Conseil Economique, Social et Environnement, jadis Conseil Economique (dont le président est le troisième personnage de l’Etat français !), a adopté le 23 janvier dernier un projet d’avis « sur la législation qui prohibe la consommation et la vente du cannabis récréatif » et cet avis est positif, puisqu’une drogue récréative ne cesse de l’être que lorsqu’elle devient ivresse. Elle est tellement douce que ce n’est plus une drogue, sauf quand elle drogue réellement. Il faut se demander si ces hauts magistrats et ces hauts dignitaires ont gardé quelque intelligence – peut être au point de ne plus en avoir tellement ils en ont, comme leurs titres en attestent.
Je deviens souverainiste
Cette douce drogue et cette douce folie ont pour argument essentiel le désir de s’aligner sur ce que font les pays voisins. Depuis un arrêt de la Cour de Justice Européenne cet alignement est désormais une obligation : l’Union Européenne a prescrit la liberté de consommation et de vente de la drogue douce, de sorte que l’on peut trouver sur le numérique autant d’offres commerciales que l’on désire. A quand la publicité à la télévision ?
Je ne crois pas que l’Union et la France soient dans le sens de plusieurs pays où les dégâts de la dépénalisation sont considérables. D’une part consommer de la drogue c’est la banaliser, le nombre de personnes empoisonnées augmente, ainsi que le nombre de suicides par overdoses. D’autre part les accidents se sont multipliés, notamment sur les routes. C’en est au point que certains Etats américains pionniers, comme la Californie, vont peut-être revenir sur la législation permissive et rétablir la prohibition.
Pourquoi se droguent-ils ?
Je sais que la prohibition n’a pas bonne presse, la prohibition de l’alcool n’a pas tari l’offre ; tout au contraire elle a été une prime aux trafiquants les plus criminels, elle a corrompu la police et les municipalités, elle a lancé sur le marché des alcools frelatés. La prohibition de la prostitution a eu les mêmes effets négatifs. Mais le contrôle du trafic de drogue est bien plus difficile que celui utilisé pour l’alcool ou la prostitution.
Je défends une position originale au sein des libéraux classiques : s’occuper de la demande dont on ne se demande pas assez pourquoi elle est si forte. Il y a une raison technique : la demande conduit à l’offre puisque le drogué est obligé de devenir trafiquant pour payer son paradis. Mais il y a aussi des raisons plus profondes, qui tiennent à l’éducation dès le plus jeune âge. Dans un article précédent[1]j’ai exposé le principe des programmes destinés aux jeunes enfants : pour leur apprendre à dire non et éliminer ainsi le risque de mimétisme, pour les amener à respecter les autres, pour substituer l’esprit d’équipe à l’esprit de clan. Familles et enseignants coordonnent leurs efforts, les résultats scolaires s’en ressentent positivement, et la peur, la jalousie et la haine font place à l’harmonie. Australie et Nouvelle Zélande, premiers pays à adopter ce type de programme (conçu par des neurologues et des psychologues), ont pratiquement éliminé la drogue des jeunes.
J’irai même plus loin en rappelant que l’Etat Providence et l’Etat nounou privent les êtres humains, jeunes ou vieux, du sens des responsabilités, ils détruisent la personnalité et débouchent sur la servitude volontaire.
[1] Jacques Garello « A Marseille on lutte efficacement contre le trafic de drogue » 14 janvier 2023 Catégorie Actualité