Maire de Béziers depuis 2014, réélu au premier tour en 2020, Robert Ménard est une personnalité hors du commun. Ses biographes soulignent volontiers ses ambiguïtés politiques passées : de l’extrême gauche dans sa jeunesse, puis président de Reporter sans Frontières et contre les dictatures communistes, il est maintenant réputé proche de la droite extrême et son épouse a été élue en 2017 députée de l’Hérault et réélue en 2022 sous l’étiquette « divers droite » avec le soutien du Rassemblement National.
Il y a pourtant de grandes fidélités dans les valeurs et les comportements de Robert Ménard. D’abord son attachement à la culture pied-noir, y compris la vérité sur l’Algérie Française et la trahison gaulliste, ensuite et surtout sa recherche permanente de la vérité, qui ne se laisse pas enfermer dans quelque parti politique que ce soit. C’est la distance qu’il a prise vis-à-vis de la classe politique actuelle qui le rend sympathique et lui vaut d’être très souvent invité sur les plateaux de télévision. Bien évidemment l’affaire du mariage de Béziers lui a valu la une de l’actualité pendant quelques jours.
Déni de droit
L’affaire c’est quoi ? C’est avant tout un défi au droit, ou un déni de droit. Robert Ménard aurait refusé d’obtempérer à l’article 12 de la Déclaration Européenne des droits de l’homme qui stipule : « À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit. » Cet article renvoie finalement à la loi française, donc à ce qu’on peut appeler le « droit positif français ».
Mais le droit positif français est un ensemble hétérogène de lois (au sens strict de textes votés par le Parlement), de décrets, voire d’arrêtés. On sait que la multiplication des lois tue le droit, qui devrait être simple, clair et général, d’après les philosophes du droit[1]. Plusieurs textes se chevauchent en l’occurrence : d’une part le texte européen, mais d’autre part les textes (français) qui régissent « l’exercice du droit ».
Est-on rassuré pour autant ? Certes pas, puisque le procureur de la République doit être consulté pour savoir si les candidats au mariage doivent être autorisés à se marier ; mais la chose se complique lorsque l’un des conjoints encourt une peine. Concrètement, le procureur de Montpellier a autorisé le mariage en vérifiant qu’il ne s’agissait pas d’un mariage « blanc » ni d’un mariage de complaisance (c’est la dimension civile de la sentence), mais a demandé aussi de vérifier (après le mariage) s’il y a conformité au texte du CASEDA (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) dans son article L.511-1.
C’est ici que Robert Ménard s’est étonné : le jeune marié, de nationalité algérienne, est entré en France alors qu’il était mineur (c’était légal aux yeux de ce Code), mais n’avait plus le droit de rester sur le territoire français au-delà d’un délai qui expirait en août 2022. Il était donc sous le coup d’une OQTF (Obligation de quitter le territoire français). Logiquement il ne pouvait pas se marier à Béziers puisqu’il était censé ne plus être sur notre territoire. Le fiancé a d’ailleurs déclaré être disposé à se marier en Algérie, voire même revenir en France en toute légalité pour se marier plus tard.
La vérité est que le CASEDA est un texte que personne ne respecte, et surtout pas les autorités judiciaires et pénales françaises. Un rapport d’information du Sénat de mai 2023 sur la question migratoire, rédigé par François-Noël Buffet (LR), indiquait qu’au premier semestre 2021, à peine 5,7 % des près de 62 000 OQTF prononcées avaient été suivies d’effets. Si l’on regarde sur les dix dernières années, ce taux a presque toujours évolué au-dessous de 20 %, il s’est effondré récemment. On sait pertinemment que l’expulsion est rendue presque impossible parce que les pays d’origine refusent de recevoir leurs nationaux expulsés. La question est d’ailleurs l’objet d’un différend qui oppose France et Algérie, et qui explique les fâcheuses annulations successives du voyage du brave Président Tebboune à Paris. Le gouvernement français est, comme toujours, d’une rigueur extrême, le 19 octobre 2022 après le meurtre de Lola dont la principale suspecte était en situation d’immigration irrégulière. on a entendu Monsieur Olivier Veran, porte-parole du gouvernement, déclarer avec humilité et bonne foi : « Nous travaillons d’arrache-pied pour faire en sorte que les expulsions » soient « suivies d’effets », mais « nous devons évidemment faire mieux ». Il faut en effet laisser du temps au temps, et l’impatience de Robert Ménard est sans doute déplacée…
Et l’Europe : en quoi est-elle concernée ?
Il est vrai que les époux de Béziers peuvent se pourvoir en appel auprès de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. La jurisprudence de la Cour est assez claire en la matière : elle a considéré qu’il y avait violation de l’article 12 lorsqu’un « prisonnier » était empêché de s’unir par le mariage. Mais une personne flanquée d’une OQTF est-elle « prisonnier » ?[2]
Mais la dimension européenne est indéniable : pourquoi les autorités européennes ont-elles un droit de regard sur les lois nationales ? Certes, à propos du mariage, elles s’inclinent devant les lois nationales. Ici c’est l’idée du fédéralisme européen qui semble prévaloir (bien que pour Béziers on ait surtout interprété l’article 12 dans son sens le plus permissif). Mais, d’une façon générale, on a assisté progressivement à l’émergence d’un droit européen qui n’était pas prévu du tout au moment de la création de l’Union Européenne. Les choses ont changé avec le traité de Maastricht et le travail de socialisation et d’harmonisation lancé par Jacques Delors.
De la sorte la situation, du point de vue du droit, est la suivante :
1°La moitié des textes présentés au Parlement Français n’est que l’application obligatoire de directives européennes. Nos Parlementaires ne font qu’en registrer des textes qu’ils n’ont jamais votés et qu’ils ne peuvent amender.
2°Comme ces textes sont de plus en plus nombreux l’inflation législative se poursuit à un rythme insupportable, la loi n’est plus claire, ni simple, ni générale.
3° La législation européenne exclut toute originalité juridique nationale : les lois doivent être « harmonisées », c’est le contraire du principe de mutuelle reconnaissance des normes qui permettait à chaque nation de définir les normes de son choix
4°Comme les normes se sont multipliées, notamment avec l’entreprise de transition énergétique, la place est nette pour plusieurs cas exceptionnels permettant de protéger certaines activités nationales, le marché n’a plus rien de commun, si ce n’est l’initiative souveraine du Commissaire chargé du marché !
A quelques petits mois des élections européennes, il faudrait peut-être se poser les vraies questions : quelle Europe et pour quoi faire ? Il est vrai que la question peut trouver demain une réponse après la conférence de l’OTAN à Vilnius.
[1] Christian Atias, Philosophie du droit, Eyrolles 4ème éd.
[2] La CEDH est-elle laxiste pour autant ? On lui reproche de ne pas appliquer l’article 12 aux mariages homosexuels, mais gageons que la jurisprudence évoluera.