A l’heure où vous lirez cet article vous ne saurez peut-être pas encore si la CGT aura coupé l’électricité au Stade de France à l’occasion de la Finale de la Coupe de Football.
La CGT a fait une répétition très heureuse jeudi soir en coupant l’électricité au cours d’un match de rugby à Agen, précisément à la 49e minute, pour bien marquer la légitimité de son forfait. Madame Sophie Binet, qui a succédé à Philippe Martinez dont on regrette déjà la modération, ne s’est pas cachée de cette coupure de courant : elle a déclaré qu’il y a un lien nécessaire entre sport et politique. On coupe le courant à cause du 49.3.
Au lieu de mettre en garde à vue Madame Binet pour ce qui peut être juridiquement classé comme un crime, le pouvoir en place a préféré la solution en douceur : mettre en place des batteries de générateurs et boucler les alentours du stade dès 15 heures. A nouveau le courage, mais il paraît que le plus courageux est le Président, qui veut montrer en effet que le sport et la politique sont intimement liés sans ce pays où tout est politique, et pas seulement le sport. La seule chose qui n’intéresse pas les dirigeants français, aujourd’hui comme hier, c’est la sécurité, c’est-à-dire l’accomplissement des missions régaliennes que sont la police, la justice et la défense.
Nous voulons cependant profiter de l’occasion pour rappeler que l’électricité, comme le sport, n’est pas un « bien public ». En effet quelques médias ont courageusement critiqué la CGT en disant que l’électricité appartient à tous les Français, donc c’est un bien public. Les économistes de l’école des droits de propriété et des public choice (logique des décisions publiques)1 ont donné une définition des biens publics qui est scientifiquement validée aujourd’hui. Un bien est public parce qu’on ne peut pas identifier le consommateur, n’importe qui peut en profiter, donc il ne peut pas y avoir de contrat, et il faut faire payer tout le monde, sans quoi des profiteurs se serviraient du bien sans payer quoi que ce soit. Ces resquilleurs potentiels (ces free riders dit-on) ne profiteront pas du bien public parce qu’ils paieront des impôts.
Jadis Marcel Boiteux, qui a présidé aux destinées d’EDF, a soutenu que l’électricité ne saurait être l’objet d’un contrat puisque le producteur et le consommateur sont sur le même fil qui transporte le courant. Donc l’électricité ne saurait être marchande². Rappelons ce qu’est un bien public :
- Il ne peut être l’objet d’une appropriation (on dit : non exclusivité). Or, le producteur d’électricité en est propriétaire, et il facture ses clients.
- Il ne peut-être l’objet d’une consommation restreinte (on dit : non rivalité). Ce n’est pas parce que je consomme de l’électricité que j’empêche mon voisin d’allumer sa lampe.
Donc, rien ne prédispose l’électricité à être un bien public, c’est un bien marchand, et l’électricité est gérée dans beaucoup de pays par des entreprises privées, ou souvent par plusieurs entreprises concurrentes. Il n’y a d’ailleurs qu’à constater que l’électricité privée existe en France : par exemple l’électricité hydraulique, fabriquée avec le courant des rivières, est vendue et achetée en France en toute légalité, et pour la plus grande satisfaction des abonnés, elle représente 11 % du total de l’électricité produite dans notre pays, et elle a augmenté de 10 % depuis 1990 . Il faut aussi constater que la concurrence existe, il y a actuellement 48 fournisseurs d’électricité, et si EDF a encore une part dominante du marché (environ 80 % des sites) sa position est de plus en plus menacée par de nouveaux fournisseurs comme Engie ou Total Energie.
Au demeurant, les règles de la concurrence fonctionnent au niveau de l’Union Européenne et le gouvernement français se met en infraction lorsqu’il n’assure pas la sécurité de la production et du transport de l’électricité.
Il n’y a donc aucune raison de laisser la CGT se rendre maîtresse de l’électricité quand elle le veut et où elle le veut. Ce syndicat n’a aucun droit sur ce bien marchand dont l’utilité est en effet reconnue par tous les Français. L’Etat n’en a pas davantage, mais il a en revanche le devoir de faire respecter, ici comme ailleurs, la propriété privée.
Mais depuis l’affaire de la réforme des retraites, la CGT a bénéfice de l’aura inespérée du syndicalisme français, auquel on a reconnu tous les mérites et toute la modération, surtout grâce à Laurent Berger, secrétaire général jusqu’en Juin de la CFDT. Pendant ces quelques mois de folie, on a cessé de faire une distinction pourtant essentielle entre syndicats révolutionnaires qui veulent casser le système économique, social, et politique, et syndicats réformistes. Et on ne doit pas oublier que, réformistes ou révolutionnaires, les syndicats français n’ont d’existence qu’à travers leur dimension politique, et pas du tout en raison de leur représentativité, car le syndiqué qui paye des cotisations est un oiseau rare.
1Ecole des property rights Demsetz, Alchian, Pejovic etc. et public choice Buchanan Tullock etc.
² Mr Boiteux, membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, a été chargé du discours de réception du Prix de cette Académie lorsque Jacques Garello en a été le lauréat (1994). Les relations entre cet éminent académicien et le lauréat ont été par la suite très chaleureuses : preuve que la pensée libérale est percutante.