Ni les Etats Unis, ni la Russie, ni marché ni plan : c’est la troisième voie. Ce sont les « non alignés », ceux qui travaillent pour la paix dans le monde, le commerce équitable, et rejettent l’impérialisme des grandes puissances. Les petits, les sans grade peuvent se ranger derrière la France.
C’est sans doute dans cet esprit que notre Président entreprend un nouveau voyage en Afrique. Il va cette semaine rendre visite au Gabon, à l’Angola, au Congo-Brazzaville et au Congo-Kinshasa.
De Gaulle et les non-alignés
Brazzaville pourrait inspirer à quelques Français un mauvais souvenir. Le discours prononcé dans la capitale de l’ancienne colonie française qui faisait partie de l’AEF (Afrique Equatoriale Française) quelques jours seulement après le « Je vous ai compris » lancé sur le balcon du Gouvernement Général à Alger, annonçait le désir du Général de décoloniser, y compris en Algérie. De Gaulle adorait donner des discours à Brazzaville : un premier discours prononcé en 1940 appelait à la Résistance, un deuxième en 1944 préparait les Africains à libérer la France, le troisième annonçait aux Africains qu’ils allaient enfin être libérés – comme les Algériens.
Ce n’est pas par hasard que De Gaulle se préparait en 1958 à signer la paix avec les chefs fellaghas en exil puis en prison. C’est que garder l’Algérie à la France c’était prolonger la colonisation, donc l’empêcher de faire de la France la troisième puissance mondiale, celle des « non-alignés ».Bien avant de devenir Président de la République, De Gaulle avait vu l’intérêt (pour lui ou pour la France, ou pour les deux) de la conférence de Bandung (1955) où l’Egypte (Nasser), l’Inde (Nehru), l’indonésie (Soekarno) et la Chine (Chou en Laî) entendaient s’unir pour éviter de tomber sous la coupe du Kremlin ou de Washington. Ils manquaient à ces non-alignés d’avoir un chef, ou une nation-pilote : pourquoi pas la France ? Dans le discours prononcé en 1966 à Phnom Penh, capitale du Cambodge, De Gaulle président de la 5ème République, peut se prévaloir de la décolonisation en Algérie pour se poser en leader des non-alignés. Il n’y réussira pas tout à fait : le Sud Viet Nam tombera sous le joug communiste et Pol Pot, à la tête des Khmers rouges, massacrera 1.700.00 Cambodgiens, le quart de la population. On peut faire confiance aux communistes pour semer la paix et la prospérité, aujourd’hui comme hier.
Macron, les Européens et les Africains
C’est peut-être la même approche, la même ambition, qui animent aujourd’hui Emmanuel Macron. Il n’a pas été l’artisan de la décolonisation, comme De Gaulle, mais il a pris soin d’en dire tout le mal qu’il en pensait : crimes contre l’humanité, exploitation par les colons, etc.[1]Voilà qui libère ses discours, ceux qu’il a prononcés au Rwanda (avec l’excuse de la France), en Côte d’Ivoire, au Mali, au Burkina Fasso. Et voilà ce qui fait de lui l’homme providentiel qui va changer le sort des Africains. Emmanuel Macron est même allé jusqu’à « inviter » les dirigeants des pays du Sahel à venir à Pau « J’attends d’eux qu’ils clarifient et formalisent leurs demandes à l’égard de la France et de la communauté internationale » « Souhaitent-ils notre présence et ont-ils besoin de nous ? Je veux des réponses claires et assumées sur ces questions. » Dans sa candeur (ou son inconscience) le Président français est persuadé que les Africains, du Sahel et d’ailleurs, comptent sur la France pour les défendre contre les djihadistes, contre Wagner, contre les Chinois, les Indiens et les Turcs. « Tous ces Africains parlent français » dit-il – ce qui est évidemment faux puisque c’est l’anglais qui prévaut, et de loin. Emmanuel Macron ignore sans doute la haine qui s’est exprimée contre la France à Ouagadougou ou à Bamako, voire même à Abidjan. Va-t-il trouver mieux à Brazzaville, Kinshasa, Libreville ou Louanda ?
Cette démesure dans la diplomatie à l’égard des nations africaines a malheureusement une dimension plus dramatique dans la conduite d’Emmanuel Macron face à l’Union Européenne, car il est persuadé d’incarner aussi l’avenir de l’Europe. N’est-elle pas désireuse de s’affranchir et des Etats Unis et de la Russie ? On l’a vu à Munich, et cela se confirme chaque jour : Macron a fait éclater l’Union Européenne à propos de la conduite à tenir aux côtés des Ukrainiens. D’un côté le groupe des Neuf qui se rangent derrière l’OTAN et n’hésitent pas à se déclarer belligérants, de l’autre la France, quelques pays du Sud, et les Allemands hésitants, qui ne veulent pas apparaître belligérants et livrer des armes offensives : pas belligérants[2].
Donc Macron veut aligner et les Africains et les Européens sur ce qu’il pense être une rencontre des non-alignés, comme jadis à Bandung ou à Phnom Penh.
[1] Cf mon article publié sur le site :
Crimes contre l’humanité ou crimes contre la France ? Algérie : Histoire de fleurs et fleurs d’histoire publié le 11 septembre 2022.
[2] Cf. mon article sur le site : “l’Europe Eclaté” publié le 29 janvier 2022.
Macron, à l’image du Général ?
Non, parce que le contexte mondial n’est pas le même.
1°il y a la Chine, et elle n’est pas non-alignée : elle s’aligne sur elle-même et demeure un pays communiste, qui a déjà annexé Hong Kong et veut envahir Taïwan. Le communisme subsiste aussi en Corée du Nord, à Cuba, au Vénézuela. Les dictatures sont plus nombreuses et plus disséminées qu’au temps de la guerre froide.
2° Il y a l’islamisme conquérant, il y a l’Iran avec ses visions religieuses et les armes nucléaires qui vont avec.
3° Il y a encore tous les non-alignés de fait, comme l’Inde, l’Afrique du Sud, Le Brésil, les « pays du Sud » qui ne veulent pas davantage de l’Europe que des Etats Unis. Le centre de gravité du monde s’est déplacé de l’Atlantique vers le Pacifique.
4° Il y a malgré tout (et heureusement) que la mondialisation économique, même si elle est faussée par les protectionnismes de toutes sortes, est à l’œuvre. En trente ans elle a créé une telle interdépendance entre producteurs et consommateurs de toutes nations, que les pénuries apparaissent dès que les échanges sont troublés par la guerre et la politique. Faute de s’aimer les Etats sont obligés de tolérer le commerce.
5° Il y a (et malheureusement) la peste verte qui a contaminé le monde entier et peut abattre toute liberté, elle est instillée par les faiseurs de monde nouveau, à travers la philosophie post-moderne qui renie l’homme et sa dignité. Aujourd’hui on ne conquiert plus le monde, on sauve la planète.
Non, parce que De Gaulle parlait haut et parlait grand.
De Gaulle parlait au nom d’une France qui avait encore une influence et un crédit appréciables, alors que notre France actuelle est en profond déclin, et en plein désordre institutionnel. Le Président de la République représentait quelque chose, alors que Macron a discrédité la fonction présidentielle, comme l’a montré (entre autres) le spectacle du Salon de l’agriculture. De Gaulle avait de la hauteur et était un calculateur, Macron n’a que de la suffisance et improvise en permanence. Il n’y a que deux choses qui leur vaut une certaine ressemblance : tous deux ennemis de la liberté, tous deux ivres de pouvoir.