Jean-Philippe Delsol a le mérite de présenter les idées de la liberté en allant au-delà de ce qu’en disent les économistes clas- siques qui s’en tiennent généralement aux vertus du marché, de la libre entreprise et du libre échange. Ce n’est déjà pas si mal, mais ce n’est pas suffisant en France, où la population est tenue dans l’ignorance la plus totale des principes élémentaires de l’économie, comme les bienfaits de l’échange, de la concurrence et de la propriété. Pour que les Français deviennent libéraux, il faut les amener à réfléchir sur la dimension politique, religieuse, culturelle de la liberté.
Voici d’ailleurs ce qui explique le titre du livre : sommes-nous réellement libres ? C’est le concept de libre arbitre qui est en jeu. Les êtres humains sont-ils par nature maîtres de leurs choix, maîtres de leur sort ?
Avec lucidité Jean-Philippe Delsol fait remarquer qu’à l’heure actuelle la peur et la soumission étrei- gnent la majorité des gens. Ils ne pensent plus pouvoir maîtriser leur avenir : réaction bizarre alors même que les techniques ont progressé, que les progrès se sont diversifiés et offrent beaucoup de com- binaisons et d’alternatives possibles.
Jean-Philippe Delsol répond à la question d’abord en historien. Il retrace le chemin parcouru depuis l’Antiquité, peu propice au libre arbitre tant la nature a d’emprise sur les mentalités, jusqu’aux âges d’or de la pensée libérale (de Saint Thomas au 18ème siècle) pour remarquer un net retour au fata- lisme, notamment avec l’existentialisme. J’ajoute que les post-modernes sont encore plus déprimants que les marxistes, car c’est l’être humain lui-même qui est mis en cause.
Mais Jean Philippe Delsol va aussi traiter la question à travers le prisme de la philosophie et de la reli- gion. Et c’est aussi ce qui fait l’intérêt et l’actualité de ce livre, si bien documenté et si bien réfléchi. La conclusion est assez claire : c’est la tradition judéo-chrétienne qui autorise l’homme à prendre ses res- ponsabilités. Par contraste l’Islam, au départ très proche des autres religions monothéistes, se fige et verse dans l’obéissance aveugle au destin fixé par Dieu : plus de libre arbitre. Certes l’auteur n’ignore pas l’importance des dissidents contemporains, ils sont courageux mais minoritaires. Jean-Philippe Delsol émet aussi quelques doutes sur le libre arbitre chez les protestants. Sans doute sont-ils libérés de la pesanteur d’une église centralisée et assez directive. Mais la prédestination est dans l’ombre : les chances de succès ne sont pas égales entre les personnes, car Dieu le veut ainsi. Donc ceux qui vont réussir n’ont pas à mettre en avant leurs propres mérites. Enfin les catholiques eux-mêmes peuvent verser dans un cléricalisme extrême, beaucoup de papes, dont Léon XIII ont entendu soumettre leurs ouailles à la loi de l’Eglise, reflet prétendument fidèle de la volonté de Dieu J’aurais peut-être aimé quelque opinion sur le pape actuel, mais sans doute aurait-il fallu lui reprocher l’exercice solitaire d’un pouvoir absolu et arbitraire.
En fait j’ai préféré finalement les données qu’évoque Jean-Philippe Delsol dans sa dernière recherche : qui de la personne ? Comment la personnalité se forge-t-elle ? Donc, au-delà de la religion, au-delà de l’histoire, ce qui est extraordinaire c’est que « tout être humain est unique et irremplaçable » comme disait jean Paul II et que chacun peut, à travers l’éducation, l’expérience, par- venir à se doter de son propre libre arbitre. C’est la raison qui donne à l’individu le moyen de progres- ser parce qu’elle lui permet de corriger sans cesse les erreurs qu’il commet : « connaissance négative » disait Thomas d’Aquin, processus d’essais et d’erreurs disait Hayek.
Oui, réellement, Jean Philippe Delsol a des chances de convertir grand nombre de nos concitoyens aux beautés de la liberté, alors qu’ils sont aujourd’hui malades du déterminisme et estiment qu’il n’y a rien à faire sinon rompre avec la civilisation. Au fait : c’est quoi la civilisation ?