Le libéralisme ne se réduit pas à sa dimension économique. Il se définit par quatre principes liés à la nature spécifique de l’être humain : liberté, responsabilité, propriété et dignité. Mais il ne peut exister durablement que dans un environnement institutionnel qui a fait peu à peu son chemin dans les pays libres : un pouvoir limité, la subsidiarité, l’état de droit, le libre marché. Cet environnement est actuellement très perturbé, voire oublié, et pas seulement en France. La mondialisation est aux antipodes du « néo-libéralisme », elle est régie par un « capitalisme de connivence ».
D’Aristote à Hayek en passant par Thomas d’Aquin, Locke, Smith, Turgot, Bastiat, Menger, Mises, Eücken et Friedman les principes du libéralisme ont été expliqués avec une belle unanimité parmi des centaines de philosophes, juristes, économistes, politologues et anthropologues. Mais ces auteurs ne sont guère étudiés dans nos Ecoles Normales, nos grandes écoles, nos Universités, ils sont inconnus à Sciences Po et à l’ENA.
Un économisme ?
Les libéraux « classiques » ne se limitent pas à prôner l’économie de marché. Ce réductionnisme permet à certains de proposer une combinaison entre liberté économique et despotisme politique, alors même que l’état de droit, la propriété privée et la subsidiarité sont tout aussi déterminants pour une société de libertés. Le libre échange et la libre entreprise sont choses nécessaires, mais pas suffisantes. Elles n’ont d’ailleurs que peu de chances de perdurer dans un pays de dictature politique ou religieuse (ou les deux). Il est donc important de poser dès le départ que le libéralisme n’est pas un économisme et ne concerne pas principalement les questions d’argent ou de croissance ou de développement
Un carré magique : liberté, responsabilité, propriété, dignité
Il est possible de résumer le libéralisme en articulant quatre concepts, c’est-à-dire en précisant qu’il n’y a pas de liberté sans responsabilité, que liberté et responsabilité appellent la propriété, et que liberté, responsabilité et propriété sont éclairées par la dignité de l’être humain.
Pas de liberté sans responsabilité
La liberté n’est pas la licence, elle ne signifie pas que l’individu peut faire et dire tout ce qu’il désire. Il doit au contraire assumer la responsabilité de ses actes, reconnaître les erreurs qu’il a commises sans s’abriter derrière des considérations sociologiques ou idéologiques. La responsabilité est personnelle, elle n’est jamais collective ou sociale. Mais la responsabilité conduit aussi à prendre en compte les besoins et les intérêts des autres personnes et à assumer ses obligations envers elles.
La propriété est reconnaissance des capacités personnelles
Si être responsable c’est répondre de ses actes, être propriétaire c’est être reconnu pour ses réalisations personnelles. La propriété permet à chacun d’identifier ce qu’il a en propre, ce qu’il a réalisé grâce à la mise en œuvre de ses capacités. La propriété est un facteur de progrès en stimulant l’épanouissement personnel et le sens de la responsabilité. La propriété est un facteur de stabilité et d’harmonie parce qu’elle permet de s’inscrire dans le temps par la constitution et la transmission d’un patrimoine.
La liberté ordonnée à la dignité
La liberté n’est pas une fin en soi, c’est un chemin. Elle permet à l’être humain de détruire et de se détruire. Mais elle est aussi le chemin vers le bien et le beau, deux concepts ignorés du monde animal, qui marquent la spécificité de l’être humain et lui donnent sa dignité. « Liberté des actes, dignité des personnes »[1] La dignité grandit avec l’expérience vécue, à travers le processus d’essais et d’erreurs qui jalonne une vie. Encore faut-il être libre et responsable de ses actes.
Les institutions de la liberté
Les valeurs du libéralisme ne sont praticables et pratiquées que dans un environnement institutionnel propice. L’histoire a démontré que les peuples libres ont bénéficié et bénéficient encore de règles simples et efficaces : la limite du pouvoir politique, la subsidiarité, l’état de droit, le marché libre.
Le pouvoir limité
La liberté est absence de coercition (Hayek)[2]. La coercition consiste à empêcher un individu (par la force ou la pression morale) d’agir contre sa volonté. Mais il est des cas où la coercition est tolérable : pour assurer le respect des biens et des personnes. Mais qui détient ce pouvoir de coercition ? Une solution, relativement moderne, est de confier le monopole de la coercition à l’Etat. Mais une fois le monopole installé, comment éviter l’abus de pouvoir ?
Certes les individus ont la possibilité d’émigrer, dans les années 1930 les Juifs ont quitté l’Allemagne, l’Autriche et l’URSS, aujourd’hui des milliers d’Africains fuient les dictatures. Mais il est sûrement préférable d’instituer des limites au pouvoir de l’Etat.
On croit souvent (notamment en France) que la République et la démocratie sont des régimes politiques hors de danger. Mais apparemment le régime importe peu : des démocraties républicaines (comme la nôtre) débouchent sur le despotisme absolu, des monarchies ou des oligarchies parlementaires sont très libérales. On évoque aussi l’efficacité des constitutions pour fixer avec précision l’organisation du pouvoir, en particulier en le divisant entre exécutif, législatif et judiciaire. Mais les constitutions doivent être à l’abri des interprétations et des changements que le pouvoir veut introduire. La France détient un record en matière de constitutions, et cependant les régimes les plus despotiques se sont succédés. Le contrôle de constitutionnalité laisse beaucoup à désirer en France[3], alors que la Cour Suprême aux Etats Unis et la Cour de Karlsruhe en Allemagne ont le plus souvent veillé à la lettre et à l’esprit des constitutions dont elles ont la garde.
En fin de compte les limites du pouvoir consistent essentiellement à confiner l’Etat dans ses missions dites « régaliennes » : garantir la sécurité des personnes et des biens, et le faire à titre subsidiaire. Pour tenir l’Etat à l’intérieur de limites étroites, il faut évidemment lui laisser le moins possible d’autonomie financière. Tout débordement implique un accroissement des dépenses publiques. C’est donc le vote de l’impôt et le sens qu’on lui donne qui seront décisifs. Pour assurer ses missions régaliennes l’Etat ne devrait pas dépenser plus de 15% du PIB : c’est-à-dire quatre fois moins que ce qu’il dépense actuellement en France (on peut paradoxalement relever que les budgets de la justice, de la police et de la défense sont ridiculement faibles). L’Etat français fait peu et mal pour assumer ses missions régaliennes, il fait beaucoup et mal pour s’occuper de tout le reste, y compris votre vie privée.
La subsidiarité
C’est la clé de voûte du libéralisme politique : que l’Etat ne fasse que ce qu’il est le seul à pouvoir faire, qu’il n’intervienne dans la société qu’à titre subsidiaire.
La subsidiarité est horizontale : la société civile doit décider et s’organiser sans que la société politique s’en occupe. Les individus, les groupes, les entreprises, les familles, sont susceptibles de régler à leur niveau les problèmes qu’ils rencontrent. Ceux qui décident doivent être ceux qui sont les plus directement concernés par la décision à prendre. Ils n’ont en général nul besoin d’une autorité supérieure pour savoir quelles dispositions doivent être prises, le recours à la coercition n’est pas nécessaire : ils vivent dans la confiance et l’harmonie.
La subsidiarité est aussi verticale : au sein de la société politique les autorités locales (comme les municipalités) peuvent régler la plupart des problèmes. Ce n’est que dans certains cas que les citoyens préfèreront trouver une solution au niveau régional. De la sorte l’Etat n’a que très rarement à intervenir : il sera alors l’ultime recours, une fois toutes les autres procédures et possibilités exploitées.
Il est remarqué et remarquable que le pouvoir est plus libéral dans les pays fédéraux. Les Etats membres d’une Union Fédérale (Etats Unis) les cantons suisses ou les Länder allemands donnent une bonne image de ce qu’est la subsidiarité. Ils tranchent singulièrement avec le centralisme jacobin qui n’a cessé d’asservir les pouvoirs locaux, notamment en les privant de toute autonomie financière[4]. Les institutions européennes ont évolué dans le sens français : Bruxelles veut concentrer le pouvoir et détruire la souveraineté des Etats membres, notamment en construisant un droit européen obligatoirement intégré dans les législations nationales. Dans sa préparation du traité de Maastricht Jacques Delors avait choisi une subsidiarité à l’envers : le traité devait indiquer les compétences que la Commission Européenne voudrait bien réserver aux gouvernements nationaux. Cette inversion se renforce actuellement avec la présidence d’Ursula von der Leyen au prétexte d’impératifs écologiques.
L’état de droit
Mais comment neutraliser les abus de pouvoir quand les dirigeants font eux-mêmes la loi et ne respectent plus les droits individuels ? La liberté exige l’état de droit, une situation où toutes les personnes, y compris celles qui détiennent le pouvoir, sont soumises aux mêmes règles du jeu social.
L’état de droit n’est pas satisfait par le droit positif, c’est-à-dire les textes votés par les assemblées et parlements du moment et la jurisprudence construite par des magistrats soumis à l’Etat. Bastiat a sévèrement critiqué Jean Jacques Rousseau qui soutenait que la loi votée par les représentants du peuple était la seule source du droit[5]. Bien souvent, à l’image de Richelieu, on imagine la souveraineté de l’Etat comme origine de toute règle sociale. C’est ignorer que le rôle du droit est avant tout de fixer les règles de la vie en commun et en ordre, mais pas un ordre créé artificiellement par des hommes, mais un ordre distillé par un processus d’essais et d’erreurs qui accompagne l’expérience de générations successives . L’opposition entre ordre créé (daté et signé par le pouvoir) et ordre spontané (jailli de toute l’histoire de la communauté et sans paternité précise) est un point capital de la philosophie juridique libérale. C’est dans le pamphlet de Bastiat « La loi et la propriété » qu’est expliquée la hiérarchie entre droit positif et droit libéral : la loi du législateur n’est pas source de la propriété, car la propriété est un attribut naturel de l’être humain qui ne peut s’épanouir, forger son identité et sa dignité qu’à travers des œuvres liées à ses capacités propres. La loi ne crée par la propriété, elle n’est utile que pour protéger la propriété individuelle[6].
En faisant référence à la nature de l’être humain, on introduit implicitement le concept de droit naturel. L’émergence et l’évolution de l’ordre spontané ne proviennent ni d’un contrat social scellé une fois pour toutes, ni d’un darwinisme social aveugle, mais de la recherche permanente de modes de vie compatibles avec la nature profonde de l’être humain. Le droit naturel participe, comme le libéralisme, d’une philosophie humaniste, et si les croyants font facilement le lien entre droit naturel et droit divin (dont ils ne saisissent d’ailleurs pas toute la dimension si l’on suit Saint Thomas et la théorie de la connaissance négative) tous les tenants de l’humanisme conviennent que la perfection n’est pas de ce monde et que nous sommes tous en état de recherche, et il n’existe aucun pouvoir, aucune élite, fût-elle élue démocratiquement, qui peut prétendre fixer des lois immuables.
Il y a certes mésentente sur la nature de la démocratie : à l’ancienne, comme chez les Grecs, elle est confisquée par quelques-uns, peu importe la procédure de leur, choix (comme la majorité électorale) ou à la moderne, comme dans les pays libres, où elle permet de reconnaître et protéger le droit des minorités et de la plus petite des minorités, l’individu. Cette opposition, mise en évidence par Benjamin Constant, est d’un réalisme saisissant : il est des pays où les droits individuels, y compris le droit à la propriété privée, sont respectés – et l’Etat y concourt puisque c’est sa seule mission et sa seule légitimité – et d’autres où l’Etat se croit tout permis et impose sa loi au bénéfice de quelques-uns et au détriment des autres.
L’égalité devant la loi est donc un critère de l’état de droit. Le critère n’est pas satisfait quand l’Etat fait son droit et quand les hommes de l’Etat et de sa clientèle se placent au-dessus et à l’écart des autres. C’est le cas lorsqu’existent des juridictions d’exception pour connaître des litiges avec l’Etat, ses administrations, ses services publics et, plus généreusement encore, les activités spécifiques que l’Etat entend soustraire au droit commun – il y en a quelque quatre-vingt actuellement.
Il est inéluctable que les abus de pouvoir conduisent à la corruption. « Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument » (Lord Acton). Assurés de l’impunité en raison de hautes fonctions, les hommes de l’Etat s’affranchissent du droit commun. Plus augmente le poids de l’Etats, plus nombreuses sont les occasions de tirer un parti financier des prérogatives que l’on exerce : marchés publics, exemptions fiscales, subventions, etc. Il est toujours facile d’invoquer l’intérêt général pour rentabiliser des intérêts très particuliers
Le libre marché
La dimension économique du libéralisme est sans doute la plus connue, jusqu’à l’assimiler (à tort) à un économisme. L’économie de marché est source d’harmonie et de progrès. Son principe est celui de l’échange, né de la recherche des besoins des autres afin de satisfaire les siens propres. Il n’y a rien de plus extraverti que le marché, procédé et parfois lieu de la rencontre de personnes aux intérêts différents et divergents : producteurs et consommateurs, offreurs et demandeurs. Mais le marché va permettre un accord grâce à la subjectivité des choix : si tout le monde attribuait la même valeur à tout bien ou service il n’y aurait jamais échange. L’échange est fondé sur le fait que le même produit n’a pas la même valeur au même moment pour les personnes concernées, et pour des raisons diverses et contingentes (et pas seulement à cause d’une « utilité » objective trop présente dans la théorie économique traditionnelle de l’homo economicus).
Encore faut-il que le marché soit libre, fidèle reflet de la volonté de ceux qui scellent leur accord. Or, de nombreuses interventions de l’Etat peuvent fausser le calcul et le choix des échangistes. Les plus nocives à cet égard sont les manipulations monétaires, les faux prix et les faux profits.
La monnaie est instrument de mesure de tous biens et services «marchands» : c’est celui qui permet de connaître les prix relatifs (tertium comparatis). Elle permet, entre autres, d’aller plus loin que le troc et d’arbitrer entre l’estimation présente et future des besoins de chacun. Donc la monnaie doit elle-même avoir une valeur stable dans le temps. Hélas depuis des siècles, les Etats ont mis la création de monnaie dans leurs prérogatives au prétexte de garantir la stabilité de sa valeur. L’émission de monnaie est devenue un droit régalien et finalement un monopole durable. Ce monopole a pris la forme de la création de banques centrales, interdisant toute concurrence entre monnaie publique (fiat money) et monnaies privées. Dès lors l’émission de monnaie est devenue une façon de financer l’Etat et les dépenses publiques. Avec les keynésiens il a même été professé que l’émission de monnaie sans valeur ou sans contrepartie réelle était suffisante pour relancer l’économie et rétablir le plein emploi. En réalité l’inflation n’a jamais réussi à réduire le chômage (inversion de la courbe de Phillips). La raison en a été bien simple : la fausse monnaie a progressivement financé de faux projets, sans aucune rentabilité mesurable : c’est le « malinvestissement[7] », l’inflation rend toute vie économique (voire sociale) déréglée et l’argent distribué n’a aucune contrepartie réelle, il s’agit de « faux droits ».
Si l’Etat intervient sur le marché à travers la monnaie et crée ainsi et inflation et chômage, il peut aussi manipuler les signaux que le marché émet normalement : les prix et les profits relatifs. Les prix sont des signaux de pénurie d’un produit (hausse des prix) ou d’excédent (baisse des prix) . Les profits sont des signaux d’efficacité des producteurs, de leur art d’entreprendre. Ils permettent de donner priorité aux producteurs qui innovent et gèrent de façon satisfaisante, c’est-à-dire au plus près des besoins exprimés par la communauté à travers ses achats.
Ces signaux sont faussés par l’Etat grâce à diverses techniques. La première est le contrôle des prix, en général pour les empêcher de « s’envoler ». Ainsi le marché de l’immobilier est-il perturbé par le blocage des loyers payés aux bailleurs privés tandis que les logements dits « sociaux » sont loués à vil prix. Le résultat en est la crise permanente du logement en France depuis plus d’un siècle. Prétendant aider les ménages les plus déshérités l’Etat contrôle aussi les prix des produits « essentiels » et les marges des grands distributeurs. La conséquence en est de favoriser ainsi les producteurs étrangers qui peuvent offrir à prix plus compétitifs pour diverses raisons. Mais il est vrai que l’Etat peut alors chercher à rétablir l’équilibre en subventionnant les producteurs nationaux. C’est le protectionnisme qui s’installe ainsi, il se mute très vite en xénophobie. Lorsque les grandes nations ont entendu lutter contre les méfaits de la crise de 1929 elles ont commis l’erreur de vouloir s’isoler de sorte que le commerce mondial en 1938 était tombé à moins de 10% de ce qu’il était dix ans plus tôt, et les échanges se sont faits par accords de troc passés entre gouvernements. La guerre économique n’a pas manqué de dégénérer en guerre militaire, parce que le nationalisme a été porté à son apogée. Nazi signifie bien « National » socialiste, et l’URSS de Lénine et Staline n’a rien à envier à l’Allemagne d’Hitler.
L’Etat ne se contente pas de fausser prix, profits et commerce international. Il intervient contre le marché à travers la réglementation et la fiscalité. La réglementation la plus lourde concerne en France les conditions de travail et le niveau de salaires. Le contrat de travail ne peut être que collectif, négocié par les « partenaires sociaux » et non par accord personnel entre employeur et salarié. Le salaire minimum (qui n’existe pas dans plusieurs pays de l’OCDE et que les Suisses ont refusé par referendum) est tellement proche du salaire médian que d’une part les employeurs préfèrent embaucher un personnel plus qualifié dont la rémunération est comparativement plus faible, d’autre part les salariés ne voient pas l’intérêt d’investir dans leur carrière et ne cherchent pas une meilleure qualification qui changerait trop leurs habitudes pour un supplément de salaire peu attractif. Ainsi le SMIC est-il pénalité pour les moins qualifiés et les expose-t-il davantage au chômage[8].
En parallèle le coût du capital financier est lui aussi fixé de façon arbitraire à travers les taux d’intérêt et les conditions de crédit. Les taux d’intérêt très faibles voire négatifs mis à la mode avec la politique d’aisance monétaire (quantitative easing) n’ont plus aucun rapport avec la réalité financière et stimulent des emprunts injustifiés tout en pénalisant l’épargne. Mais les Etats en sont friands parce que ces taux allègent la charge de leurs dettes.
Conclusion : Mondialisation et capitalisme de connivence
La longue énumération, pourtant non exhaustive, des méfaits de l’Etat dans ses interventions sur les marchés, justifie l’opinion que nous ne vivons plus dans un système d’économie de marché.
Or la classe politique, de droite comme de gauche, affirme que la crise économique actuelle est due au système économique dominant, tellement nocif pour les peuples, tellement aveuglé par la rentabilité qu’il pollue au point de menacer la planète et les générations futures à travers le réchauffement climatique.
Il y a donc opposition totale entre ce qui se dit couramment sur le capitalisme et la mondialisation, et ce qui est la situation réelle[9].
La mondialisation est apparue à la suite de l’éclatement de l’empire communiste bâti par l’URSS. A l époque (1991) un vent de liberté a soufflé sur le monde. Les pays d’Europe Centrale et de l’Est ont retrouvé indépendance et liberté, les politiques économiques ont radicalement changé, les idées de Keynes et la planification s’étaient déjà discréditées depuis près de 20 ans, tous les pays vont désormais surfer sur la vague libérale agitée par Thatcher et Reagan, la peur de la guerre nucléaire s’était évanouie. C’en était au point que l’économiste américain Francis Fukuyama prédisait « la fin de l’histoire »[10] : nul doute désormais que le système d’économie de marché allait se généraliser, et que libre échange et libre entreprise allaient régner sur le monde entier.
Cette prévision ne s’est pas réalisée, pour deux raisons.
La première est que le communisme n’était pas totalement détruit, la Chine, Cuba et plusieurs pays d’Amérique Latine, la Corée du Nord, demeuraient dictatures fermées au commerce mondial, tandis que l’idéologie marxiste renaissait après la conférence de Rio (1991) et le concept de « développement durable » : le capitalisme des pays riches avides de profit immédiat allait épuiser les ressources naturelles des pays pauvres et ferait courir des risques sur la planète entière. Ainsi l’impérialisme capitaliste et américain menaçait-il désormais le monde entier.
La deuxième raison est que le commerce (presque) mondial allait mettre les Etats eux-mêmes en concurrence. En effet l’économie cessait d’être « géonomique » (François Perroux), d’être liée au territoire, pour se délocaliser en fonction des coûts de production et de l’ouverture de nouveaux débouchés. Les progrès des moyens de transport et les nouvelles techniques de télécommunication ont réduit les distances et rapproché producteurs et consommateurs du monde entier. Alors sont apparues les différences institutionnelles entre pays, et le rôle plus ou moins positif que les divers Etats pouvaient jouer. La concurrence a été dès lors faussée, en schématisant on peut repérer trois situations :
celle des Etats assez libres pour s’adapter et réagir aux défis concurrentiels (par exemple l’Allemagne, la Suisse, l’Australie, la Nouvelle Zélande, la Corée, Hong Kong et Singapour qui ont pu exporter et équilibrer leurs balances commerciales) ;
celle des Etats assez dictatoriaux non seulement pour imposer de lourds sacrifices à leur population condamnée à agir et travailler sous coercition mais aussi pour se dispenser de toute règlementation internationale, y compris en pillant la propriété intellectuelle d’innovations techniques nées ailleurs (la Chine et la Russie sont reconnues pour vedettes dans cet exercice)
celle des Etats qui ont cru survivre en revenant à un protectionnisme classique : taxer et limiter les importations, subventionner les exportations. Les Etats Unis de Donald Trump ont donné le mauvais exemple, mais de nombreux autres pays comme le nôtre les ont accompagnés La différence avec les USA est que les Américains peuvent vivre en autarcie depuis qu’ils ne dépendent plus des importations d’énergie, donc leur croissance n’est pas menacée[11]. En revanche le protectionnisme crée une crise dans des pays comme le nôtre parce que les importations reviennent très cher et les finances publiques sont épuisées par le soutien permanent aux producteurs nationaux.
La superposition de ces trois situations engendre un véritable désordre dans les échanges internationaux. Ce désordre n’a plus grand-chose à voir avec le libre- échange, et il est donc tout à fait déraisonnable d’incriminer les libéraux et le libéralisme de tous les maux apportés par la mondialisation. Les principes marchands et libéraux auraient dû conduire les Etats à s’aligner sur les plus discrets, les moins coûteux. Tout au contraire la plupart des Etats ont refusé de se retirer du jeu, de libérer les énergies personnelles. Trop souvent les incitations nées de la concurrence et de l’ouverture des frontières ont été oubliées ou neutralisées. Puisque les Etats sont restés dans le jeu, les relations tendues entre gouvernements ressemblent à une guerre économique. Cela n’a plus rien à voir avec le « doux commerce » facteur de paix et d’harmonie mondiales (Montesquieu). Le libre marché international n’existe pas aujourd’hui, le système capitaliste n’est pas celui qui régit la mondialisation. Il est habituel de dénommer ce pseudo système « capitalisme de connivence » : mélange contre nature, contre morale, entre la classe politique et le monde des affaires.
Ainsi le libre marché n’est-il pas en place, l’état de droit n’est-il pas respecté, la subsidiarité est-elle ignorée, et le pouvoir s’exerce-t-il sans limite. Les principes fondamentaux d’une société de libertés ne sont pas reconnus ni même connus.
On peut se demander alors pourquoi le vaccin libéral n’est pas administré, puisqu’il ne représente aucun danger. Le danger c’est de ne pas être vacciné et de contracter toutes les maladies politiques, juridiques et économiques du monde contemporain. Il est impensable de rejeter la liberté et le vaccin libéral, qui n’apportent que bienfaits aux êtres humains, précisément parce que le libéralisme est un humanisme, il rend à l’être humain toute sa dignité, car ses talents de créateur s’accompagnent de talents de serviteur, parce qu’il sait donner un sens à la liberté qui lui est donnée.
Il est temps de vacciner.
[1] Formule de Jean Paul II reprise pour thème pour la 25ème Université d’Eté de la Nouvelle Economie, Aix en Provence
[2] F.Hayek The Constitution of Liberty, University of Chicago Press, 1960 Traduction française (Raoul Audouin et Jacques Garello) La Constitution de la liberté, Litec, collection Libéralia, 1994
[3] Introduit dans la Constitution de la 5ème République, le Conseil Constitutionnel souffre à la fois de sa composition très politique et des modifications incessantes apportées au texte constitutionnel (par exemple l’introduction du principe de précaution).
[4] Gérard BRAMOULLE Libertés et Finances Locales, Pourquoi l’explosion des impôts locaux ? 2006 Librairie de l’Université Aix en Provence IREF éd. Préface de Jacques Garello
Le Livre Noir de la Fiscalité Locale, Economica 2006
[5] Propriété et Loi, pamphlet in Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, op.cit. p.119
[6] Idem loc.
[7] Expression due à Hayek.
[8] Gary Becker Human capital: a theoretical and empirical analysis Uny of Chicago Press 1964, Gary Becker: « Augmenter le salaire minimum, c’est augmenter le chômage » (Business week, 1995).
[9] Pascal Salin Le vrai libéralisme: Droite et gauche unies dans l’erreur, éd. Odile Jacob 2019
[10] Francis Fukuyama The End of History and the Last Man (1992) trad.française La Fin de l’histoire et le Dernier Hommeéd.Flammarion, 1992
[11] Cependant les Etats Unis dépendent toujours de plusieurs ressources de base, comme les métaux rares.