La liste annuelle des Nobel se termine toujours par le Nobel d’économie. Les lauréats de
cette année sont Daron Acemoglu, Simon Johnson et James A. Robinson « pour leurs travaux
sur le rôle des institutions dans la prospérité économique ». En résumé, le mérite de ces trois
économistes américains (les deux premiers enseignent à Harvard MIT, le troisième à
Chicago) a été de prouver rigoureusement ce que les libéraux professent depuis plusieurs
siècles : les pays sont riches quand ils jouissent d’institutions favorables à la liberté, à la
responsabilité et à la propriété des êtres humains.
Venant après le Nobel de l’an dernier remis à Claudia Goldin, dont les travaux démontrent
que les salaires des femmes n’ont jamais été réduits par quelque discrimination liée au
genre mais par la volonté délibérée des femmes, épouses et mères, la suprême récompense
de la banque de Suède est maintenant rassurante, après une bonne décennie de sélection
d’économistes socialistes voire marxistes (tel Stiglitz, tellement choyé en France).
J’ai d’autant plus de plaisir à saluer les lauréats que j’ai moi-même travaillé sur le rôle
déterminant des institutions, j’ai eu l’occasion d’en débattre très souvent aux côtés de mon
ami Gary Becker, prix Nobel 1992 (Université de Chicago) qui a été élu Docteur Honoris
Causa de l’Université Paul Cézanne à Aix en 2001. Dans le plus récent de mes ouvrages je
rappelais précisément ceci : « Les valeurs du libéralisme ne sont praticables et pratiquées que
dans un environnement institutionnel propice. L’histoire a démontré que les peuples libres
ont bénéficié et bénéficient encore de règles simples et efficaces : la limite du pouvoir
politique, la subsidiarité, l’état de droit, le marché libre » 2 . D’ailleurs la corrélation
statistique est indiscutable entre le revenu par tête des habitants d’un pays et son indice de
liberté économique. Ce n’est pas par hasard que la Suisse caracole en tête. Enfin il faut se
rappelerque tant Adam Smith que Frédéric Bastiat avaient bien expliqué le lien entre
richesse des nations et liberté des échanges.
Je viens d’évoquer les quatre institutions majeures. Elles représentent en quelque sorte les
règles du jeu social. Quand il n’y a pas de règle du jeu ou quand un pays verse à la dictature,
au collectivisme, au protectionnisme, c’est la misère pour le peuple, mais assurément la
spoliation et la richesse pour la nomenklatura.
La fierté de notre foyer libéral aixois aura été d’aller un peu plus loin encore dans l’étude des
institutions : comment sont-elles mises en place, comment vont-elles évoluer ? Dans le
cadre de la Faculté d’Economie Appliquée dirigée à l’époque par le doyen Jean Pierre Centi,
nous avons créé le premier diplôme d’Etudes Supérieures (pour les étudiants en doctorat)
sur le thème : Analyse Economique des Institutions. Par quelle logique, par quel processus,
les institutions se mettent en place et vont ensuite évoluer.
Nous avions pour point de départ une idée importante d’Hayek : comme toute règle du jeu,
une institution renseigne les joueurs sur le comportement le plus probable des autres
joueurs. Hayek expliquait qu’il se créait ainsi un « ordre spontané », un concept proche de
celui qu’Adam Smith avait décelé chez les enfants qui jouent aux billes (celui qui gagne
toujours est obligé de redistribuer aux autres les billes gagnées sinon il ne peut plus jouer).
Mais Hayek n’expliquait pas pourquoi on devait changer les règles, ni la façon de le faire, il
s’en remettait à la seule cohésion du groupe – ce qui à la limite peut justifier la Russie de
Pierre le Grand). Parmi les analyses économiques reçues figure aussi celles qui tournent
autour de l’idée de « contrat social » : James Buchanan, à la suite de Wicksell, a imaginé que
les règles du jeu sont nécessairement acceptées par ceux quii veulent rejoindre les joueurs.
Mais s’il est vrai que les règles ont été posées par les fondateurs du pays, et les inventeurs
de la première règle, comment peuvent-elles subsister quand de nombreux candidats
veulent entrer dans le jeu ? La société se ferme-t-elle ?Toute fermeture vaut déclin. Or, ce
n’est pas ce que l’on observe dans l’histoire vécue sur des siècles. Avec le concours de mon
jeune collègue Jean Yves Naudet, j’ai proposé d’en revenir à Saint Thomas d’Aquin et au
droit naturel. L’approche thomiste est que le progrès des sociétés n’est pas linéaire, il
procède d’un processus d’essais et d’erreurs 3 . Les êtres humains ne peuvent connaître le
plan divin, ils ne peuvent accéder à la Vérité, cependant ils ont été dotés par Dieu de la
raison, qui leur permet de mesurer les erreurs commises, les nouvelles tentatives qui
pourraient s’imposer. Le droit naturel est ainsi le résultat d’une dynamique permanente
entre droit divin et droit positif.
On en revient ainsi à la conclusion de nos trois lauréats Nobel : les bonnes institutions sont
celles qui s’accordent avec la nature des êtres humains, qui ont un besoin naturel de liberté,
responsabilité et propriété. C’est d’ailleurs ce qui fournira la base de ce qui s’appellera la
« doctrine sociale de l’Eglise Catholique », doctrine lancée par Léon XIII qui s’interroge dès le
début de « Rerum Novarum » sur la question ouvrière et déclare tout de suite que l’erreur
du socialisme est une erreur due à l’oubli de la nature de l’homme, qui a besoin de propriété
privée pour exprimer et développer sa personnalité .
Puisse nos prix Nobel éclairer enfin l’intelligence des Français, vaincre leur ignorance de
l’économie, et les rassurer : la foi dans l’être humain et sa dignité peut nous sauver du déclin
et nous ouvrir le chemin de la liberté.
1 Un de leurs ouvrages a été traduit en français Prospérité, puissance et pauvreté : Pourquoi certains pays réussissent mieux que d’autres. 2015
2 Cf. mon ouvrage Vaccin Libéral. Contre le despotisme, contre le populisme JDH, éd. Janvier 2022 pp.39/46
3 un concept qu’Hayek a d’ailleurs pleinement admis, il avait d’ailleurs une grande admiration pour les scholastique de Salamanque disciples du Docteur Angélique
4 « L’homme naît propriétaire » ; cette formule de Bastiat a certainement influencé Léon XIII qui avait lu les œuvres de l’économiste français quand il était archevêque de Pérouse.