La perspective d’une France musulmane provoque chez certains l’inquiétude, voire peur panique. La peur est mauvaise conseillère, elle sème la haine, engendre la xénophobie, assimile l’immigration à une croisade. En revanche, on doit s’interroger sur les liens entre la religion islamique et le communautarisme, en particulier chez les jeunes : quels seraient ces liens ? Ma réponse, on va le voir dans cet article[1], me conduit à élargir la question bien au-delà de la religion musulmane, et à souhaiter une renaissance spirituelle de la France et de l’Occident.
Le besoin religieux de l’être humain
Je vais en effet m’interroger sur les effets de la laïcité. La laïcité pourrait être la solution, elle est devenue le problème. Elle pourrait être la solution si on la concevait comme le principe du libre choix individuel de sa religion. On parlerait alors de « laïcité libérale », reconnue comme un droit fondamental de tout être humain. Mais elle est devenue le problème du jour où elle est devenue « laïcité d’Etat », interdiction de se référer à une religion dans la vie publique, dans toute relation sociale. Dieu doit être exclu de la société, et l’Etat doit y veiller.
Chassez le naturel, il revient au galop. Par nature imparfait, l’être humain est en recherche de perfection. Il aspire à donner un sens à la vie, à sa vie. Les religions monothéistes sont des passerelles avec Dieu. Retirez les passerelles, et c’est la chute. C’est le vide religieux sidéral. Il crée un appel d’air dans lequel vont s’engouffrer tous les orphelins de Dieu
C’est sans doute ce qui a attiré tant de jeunes vers une religion qui avait au moins un mérite : elle existait, elle signifiait (à tort sans doute) la victoire sur tous les autres, y compris les plus puissants. L’ambition politique des dirigeants islamistes, et surtout de ceux qui ont prôné un Islam mondialisé, a fait beaucoup pour diffuser le « rêve musulman ». Mais cet impérialisme religieux n’aurait pas reçu autant d’adeptes s’il y avait eu en face quelque ferme croyance des « incroyants ».
Liberté scolaire et liberté religieuse
Or, la croyance religieuse se forge et se développe en grande partie à travers la famille et le système éducatif. Qu’il y ait ici carence, et les jeunes sont livrés aux manipulations de toutes sortes. Depuis plus d’un siècle la gauche milite pour un « service public unique et laïque de l’Education Nationale », le fameux Spulen du programme commun formulé en 1973. Le monopole d’Etat a complètement failli, parce qu’il n’a que faire de la religion, puisqu’il est lui-même religion. La laïcité est devenue « le nouveau Christianisme » comme disait Saint Simon au début du 19ème siècle pour expliquer la naissance et le développement de la religion socialiste.
Il serait temps de revenir à une vraie liberté religieuse, qui inclut en particulier une vraie liberté scolaire : la possibilité d’ouvrir des établissements vraiment autonomes où l’on pourrait parler de Dieu aux enfants et aux jeunes. Ici, on objecte souvent le danger des écoles coraniques, mais combien de temps pourraient-elles supporter la concurrence des écoles religieuses, catholiques, juives ou protestantes, qui exercent aujourd’hui un tel attrait sur les familles, en dépit des privilèges et des interdits qui permettent à l’Etat de garder la main sur l’ensemble du système d’enseignement ? Ce n’est pas par hasard que l’on voit à nouveau autant de jeunes dans les églises, ou dans les manifestations tranquilles [2]: la plupart d’entre eux sont issus de l’école libre – fût-elle en liberté surveillée. Mais ces jeunes sont des privilégiés, ils ont échappé aux délires intellectuels et pédagogiques de l’Education Nationale, ils n’ont pas été élevés dans la religion d’Etat.
La concurrence des religions
La concurrence des religions est ainsi le seul moyen d’éviter les guerres de religion. Gary Becker (prix Nobel 1992), connu entre autres pour ses travaux sur l’analyse économique de la famille, rappelait à juste titre que les vertus de la concurrence s’expriment dans tous les domaines, et pas seulement entre les producteurs. La concurrence est exigence, elle doit répondre aux attentes. Elle seule peut donc combler le vide religieux où la laïcité d’Etat a précipité les jeunes générations.
L’appel à la concurrence ne signifie pas pour autant l’apologie du relativisme : si le choix est entre toutes religions, certaines répondent sans doute mieux à la liberté et la dignité de la personne humaine. Le dialogue entre religions organisé à Assise par Saint Jean Paul II et Benoit XVI n’était pas un reniement de l’unicité de la Vérité « Je suis la Vérité » : en chrétiens nos papes ne doutaient pas que Jésus soit la Vérité, et tous deux ont condamné sans appel le relativisme. Mais ils savaient aussi que le chemin de la vérité n’est pas facile, ni unique. Et que la découverte de Dieu procède d’une démarche personnelle, éclairée sans doute et par l’éducation et par la grâce divine.
Les Rois Mages étaient eux aussi en recherche. Ils ont su trouver le lieu où Dieu s’est manifesté, où la Nativité a apporté aux hommes l’espoir de la rédemption, de l’amour et de la paix. Il serait peut-être temps de se convertir au christianisme, ou à toute autre religion concurrente, si l’on veut en finir avec la religion d’Etat, qui engendre le vide religieux et multiplie les conversions à la chaîne, les conversions qui enchaînent.
Œuvrer à la renaissance spirituelle
Il faudrait sans doute s’interroger aussi sur d’autres raisons de la paganisation de la société occidentale. Sans doute l’esprit de charité et la solidarité familiale ont-ils été entamés ou emportés par l’avidité matérielle, mais plus encore par la redistribution organisée par l’Etat Providence, qui a cassé les liens personnels pour leur substituer les prélèvements obligatoires et les privilèges, et qui a tué l’initiative, le mérite et la dignité. Sans doute le scientisme et la « présomption fatale » ont-ils persuadé les élites qu’ils pouvaient créer une société parfaite, où il est inutile de s’encombrer de superstitions d’un autre âge. Il est significatif que les bâtisseurs de l’Europe aient refusé de reconnaître un fait pourtant historique : les racines judéo-chrétiennes de notre culture.
Comme d’autres l’ont dit : la crise dans laquelle l’Occident s’est plongé n’est pas essentiellement économique, elle est sociétale, elle est politique, elle est morale. Et l’Occident ne s’en sortira qu’au prix d’une renaissance spirituelle. Des millions de Chrétiens d’Orient persécutés ont aujourd’hui le courage de nous montrer la voie.
Que la foi se perde, et la peur grandit. Alors, et alors seulement, commence le danger.
[1]Je reprendsici, à peu de choses près, un article écriten 2019 mais je croisqu’ilest hélas de grandeactualité
[2]Cet article avait été écrit au moment de la « manif pour tous » : trois millions de manifestants sans aucun incident, mais aussi sans effet sur les pouvoirs publics : les lois Taubira ont été maintenues