Cette réforme est présentée par le Président comme un grand moment de son deuxième quinquennat. Finies les interminables débats du comité Delevoye, on ira droit au but : reporter l’âge de la retraite, vraisemblablement à 65 ans. Jeudi dernier le Président a pressé le pas, il a rappelé qu’il est nécessaire de « travailler plus longtemps dans une nation où on vit plus vieux et on rentre plus tard en moyenne dans la vie active ». Assurément des adaptations seront en fonction des métiers, des carrières, peut-être des primes seront-elles accordées à ceux qui voudront continuer à travailler plus longtemps.
Mais qu’importe le projet ? Du moment que la réforme maintient le principe d’un système « par répartition », elle n’a aucune chance d’améliorer ni les pensions ni les cotisations. « L’âge de la retraite n’a aucun intérêt » a écrit Jacques Garello[1]. En effet la répartition suppose que les actifs cotisants paient les pensions des retraités, mais cette généreuse solidarité intergénérationnelle n’a aucune consistance pour une population sans cesse vieillissante. Donc il faut sans cesse reculer l’âge de la retraite pour essayer (en vain) de combler les déficits : les cotisants payent plus longtemps, et le nombre des pensionnés diminue parallèlement. On ne sait pour quelle raison la France est l’un des rares pays à ne pas vouloir installer une retraite par capitalisation qui a plusieurs avantages : l’argent des cotisations n’est pas gaspillé, mais valorisé, il diminue le montant des cotisations d’environ un bon tiers[2], il est utile pour les investissements et accélère la croissance. Donc, la classe politique et syndicale est dans l’erreur en se battant autour de l’âge légal de la retraite : des 60 ans ou moins chez le rassemblement National ou la NUPES, aux 65 ans de Valérie Pécresse et Emmanuel Macron, il n’y a aucune solution qui puisse éviter l’explosion du système à très court terme.
De la sorte, puisqu’il n’y a pas de réforme systémique en vue, le débat qui s’ouvre aujourd’hui à propos de la réforme des retraites ne porte que sur le calendrier et les modalités de la réforme.
Le calendrier est balloté entre le mois d’Octobre prochain, et l’été 2023. Le Président lui-même a navigué dans le temps. Mais en ce lundi 19 septembre l’entrevue entre le Ministre du travail Olivier Dussopt (jadis parmi les dirigeants du Parti Socialiste) et les « partenaires sociaux » qui avaient accepté de se rendre à cette entrevue s’est très mal passée. Les syndicalistes (en particulier la CFDT) ont accusé le gouvernement de prendre argument du récent rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) qui à juste titre noircit le tableau pour accélérer la procédure et « passer en force ». Il serait en effet question d’introduire la réforme dans le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) présenté au Parlement au cours du débat sur le budget de l’Etat 2023 ouvert en octobre. Le gouvernement pourrait recourir au 49.3 en cas de blocage. La CGT n’a pas accepté de participer à cette entrevue : « l’ensemble des organisations syndicales, de salariés comme patronales, ne souhaitent pas que le gouvernement passe en force sur la question des retraites » . A vrai dire, voilà une nouvelle preuve que les « partenaires sociaux » refusent la réalité : le système est explosif, comme n’a cessé de le rappeler le COR.
La division est donc évidente entre le plan du gouvernement et les attentes des partenaires sociaux. Certes Olivier Dussopt a semblé battre en retraite (c’est le cas de le dire) en évoquant une négociation plus longue, pouvant aller jusqu’à l’été 2023. Mais il n’a convaincu personne.
Il n’a pas non plus convaincu François Bayrou, qui a déclaré samedi dernier dans les colonnes du Parisien : « Je suis opposé au passage en force. Si on se lance dans cette voie-là, alors nous sommes certains de coaliser d’abord les oppositions entre elles, puis de diviser la société française », a averti Bayrou, en appelant à prendre « le temps de la pédagogie ». La majorité présidentielle se divise déjà sur la procédure, nombreux sont ceux qui risquent de ne pas suivre le gouvernement, même avec le 49-3.
Après une rentrée scolaire assez bâclée, avec des enseignants de fortune et des grèves locales, la rentrée sociale prend de belles couleurs, avec des grèves en cours (aiguilleurs du ciel) et annoncées (cheminots). Mais le gouvernement se veut toujours social en distribuant des chèques, en instaurant un bouclier énergétique, en bloquant certains prix, en confisquant les « superprofits », et en préparant les rationnements. Et on va en finir bientôt avec les retraites.
[1] Contrepoints, 22 mars 2022. Entre autres ouvrages sur les retraites Jacques Garello a écrit « Comment sauver vos retraites » (Collection Libre échange 2015)
[2] Cf le rapport très précis de Nicolas Marquès repris dans son article de Contrepoints 16 avril 2022 : la retraite par répartition, une taxe implicite de 50 à 70 %