Il y a d’abord ceux qui détestent le personnage : vulgaire, parfois graveleux, macho, violent. Il ne fait pas dans la dentelle. Il y a ensuite ceux qui n’aiment pas les Américains, quels qu’ils soient, à gauche parce qu’il est entrepreneur capitaliste, à droite parce que les Etats Unis ont souvent méprisé les intérêts de la France. Il y a encore ceux qui pensent que Trump est contre l’Europe, contre l’Otan, contre la guerre en Ukraine.
Cela fait au total beaucoup de Français. Et de Français qui s’inquiètent parce qu’après le retrait de Ron DeSantis, gouverneur de la Floride, homme plutôt remarquable, jeune et libéral, et appelé à une grande place au sein des Républicains, les primaires semblent pliées : Trump sera le candidat des Républicains en novembre. C’est un peu comme s’il était réélu Président, puisqu’il était à la Maison Blanche il y a quatre ans seulement. Joe Biden n’a pas à se présenter à sa propre succession, la loi électorale le dispense de primaires : il sera nécessairement le candidat des Démocrates.
En France on aime bien la démocratie à condition que le peuple vote « bien ». De ce point de vue Emmanuel Macron a eu raison quand on l’a interrogé sur Trump : « Je respecte tous les chefs d’Etat qui ont été élus par leur peuple », à supposer sans doute que les élections aient été libres, ce qui est le cas aux Etats Unis, mais pas en Russie ou en Chine ou dans l’une des dizaines de dictatures existantes au monde.
Je voudrais simplement rappeler quelle est la logique du discours de Trump, car il y en a une, même si elle est déplaisante à notre point de vue de Français et d’Européens.
Trump isolationniste
La logique est celle de la doctrine de Monroe : l’Amérique aux Américains, le reste du monde importe peu, ou pas du tout. On voit la différence entre Trump et Reagan, car Reagan savait que les Etats Unis avaient avant tout à se protéger de l’URSS, et ses initiatives, jointes à celles de Jean Paul II, ont réussi à mettre fin à la guerre froide en rassemblant aussi toutes les nations d’Europe Occidentale.
Pour Trump, les Etats Unis n’ont nullement le devoir militaire, économique et moral d’être la police de la liberté dans le monde entier. Les Etats Unis se sentent protégés par leur bouclier aérien (mais récemment les fusées de PyongYang ont interrogé les Américains). Les Etats Unis sont économiquement indépendants depuis qu’ils exploitent le gaz de schiste : ils ont une souveraineté énergétique (mais ils n’ont pas tous les métaux précieux actuellement indispensables), et ils ne se sentent pas les obligés des Européens, dans la mesure où ces Européens tirent sur les budgets américains sans faire un effort financier.
L’attaque de Trump contre l’OTAN et l’Europe de Bruxelles a été spectaculaire. Thierry Breton a jugé les propos de Trump adressés à Ursula Von der Leyen inacceptables. Trump reproche aux Allemands d’avoir bénéficié de la couverture de l’OTAN sans jamais avoir versé un sou (400 milliards de dollars escroqués, dit-il). Il ne veut plus d’aide financière ni militaire à l’Europe. Cela contraste avec le fait que l‘OTAN est en train d’organiser les premières grandes manœuvres depuis la fin de la guerre froide (1947-1991). Mais Donald Trump ne croit pas qu’une alliance soit efficace, il estime que les opérations militaires ne peuvent réussir que si un commandement national est engagé. Il oublie sans doute l’histoire des deux guerres mondiales du 20ème siècle, et la guerre froide.
L’isolationnisme de Trump a une autre dimension, à mon sens plus réaliste et plus déterminante : isoler les Etats Unis c’est fermer les frontières du Sud. Des millions de candidats à l’immigration font cortège depuis le Mexique, l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud vers le « rêve américain », mais c’est un cauchemar pour une grande partie des Américains. Cette peur n’est pas vaine, elle explique la position des Républicains au Congrès : s’occuper un peu plus des nationaux et un peu moins des Européens. Trump devrait être applaudi par les tenants de la souveraineté française et la peur de l’immigration massive qui habite une majorité de Français.
Trump conservateur
Le style du personnage et de son discours déforme quelque chose que nous n’admettons pas en France : la population des Etats Unis est conservatrice. Cela signifie que les valeurs morales et religieuses sont toujours très vivaces dans la population américaine. La diversité religieuse est à son plus haut point, elle va par exemple de l’Utah mormon au Vermont très catholique. Dans certains états l’avortement est reconnu, voire subventionné, et pas dans d’autres. Lorsque Trump plaide pour la vie de l’enfant à naître il traduit le sentiment d’une Amérique profonde. Il s’oppose au wokisme, au dérèglement des mœurs, aux excès de la Californie et de Disney (DeSantis a supprimé les subventions de la Floride à Orlando).
Naturellement il s’agit de comportements et d’opinions qui sont largement dépassés en France, où les « réformes sociétales » ont achevé la décomposition de la famille, puis le mariage pour tous, puis maintenant l’euthanasie, avec la ridicule constitutionnalisation de l’avortement.
J’ai entendu des commentateurs mettre en cause les reformes constitutionnelles que Trump aurait l’intention d’introduire. Ces commentateurs croient que la constitution américaine est du même genre que la nôtre et que la Cour Constitutionnelle pourrait en changer les dispositions d’un coup de baguette : certains membres actuels de la Cour n’ont-ils pas été mis en place par Trump ? Chez nous la Constitution de la 5ème république dit tout et son contraire. Elle vise par exemple la Constitution de 1946 comme texte de référence, alors que cette constitution écrite par les communistes nie le droit à la propriété et multiplie les « droits sociaux ». Tout cela a été aggravé par ces « réformes sociétales » mises en place sous la présidence d’Emmanuel Macron, qui en a fait l’une de ses priorités dès 2017.
Il y a peu de conservateurs en France. Il y a eu déchristianisation galopante depuis des décennies, les lois de l’Etat y sont pour quelque chose. La laïcité radicale a fait des progrès, elle s’apprend maintenant à l’école. Chez les catholiques on se fait volontiers « chrétiens de progrès » : il faut changer avec les mœurs, mais qui change les mœurs ? Il y a démission ou résignation face au désordre des mœurs.
Les libéraux attachés aux valeurs morales et spirituelles sont peu nombreux. Certains limitent le libéralisme à sa dimension économique, c’est une erreur. Le libéralisme est avant tout un humanisme, une certaine idée de l’être humain qui peut faire usage de sa liberté pour conserver et épanouir sa dignité.
Hayek a écrit « Voilà pourquoi je ne suis pas conservateur »[1], mais il visait les conservateurs anglais, les tories opposés à tout changement dans l’ordre social. Or, et suivant Hayek lui-même, nous savons que les institutions évoluent sous l’effet d’un ordre spontané, fruit de la vie en commun et d’un processus d’essais et d’erreurs (la « connaissance négative » de Saint Thomas d’Aquin). Par contraste un ordre créé artificiellement par le pouvoir politique ne débouche que sur la disparition des droits naturels des êtres humains.
Ces droits naturels dans l’approche libérale sont d’après la trilogie de Locke le droit à la vie, à la liberté, à la propriété. Etre conservateur, et défendre la vie de l’enfant à naître, n’est pas une honte, c’est un progrès et sur ce point au moins Trump mérite d’’être écouté, il traduit en tout cas le choix d’une majorité du peuple américain, majorité variable suivant les Etats. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un argument électoral, comme le disent les commentateurs.
Aujourd’hui, dans notre pays, se dire de droite ou de gauche n’a plus beaucoup de sens, car la droite n’est plus conservatrice et la gauche a toujours été révolutionnaire. Voilà pourquoi nous n’arrivons pas à croire qu’il existe une droite conservatrice américaine. Nos partis n’ont cure de l’ordre spontané et de la liberté. Il faudrait peut-être s’en soucier si nous voulons éviter de sombrer dans la servitude et la résignation, puis dans la haine et la dictature.
Trump isolationniste : c’est un choix américain, on peut le regretter mais il se comprend. Trump conservateur : c’est encore un choix américain, on pourrait s’en inspirer car la liberté exige des institutions de nature à garantir les droits individuels et l’harmonie sociale.
[1] La constitution de la liberté , Pourquoi je ne suis pas un conservateur ? Ed : Litec Septembre 1994, Page 393-406. Hayek se disait « whig » .
Merci Jacques, Il est bien de préciser certains points de vue, même si celà va à l’encontre de la pensée unique.