A Dakar les manifestations tournent maintenant à l’émeute. Pour la première fois les cocktails molotov et les fameux « mortiers » ont été massivement employés, des bâtiments publics ont été attaqués, le feu a été mis à plusieurs magasins. On pourrait se croire en France en juillet 2023.
Ce qui a déclenché cet incivisme et cette violence est la décision du Président actuel Macky Sall de ne pas se représenter aux élections présidentielles prévues pour le 25 Février. Cette décision est curieuse puisque ledit Président avait demandé au Conseil Constitutionnel Sénégalais de valider une nouvelle candidature, puisque la réforme très démocratique de raccourcir le mandat présidentiel de 7 ans à 5 (Chirac a fait de même) pouvait lui donner droit à un nouveau mandat. Malheureusement les membres du Conseil ont été accusés à juste titre semble-t-il de corruption. Finalement la décision de non candidature de Macky Sall passe aux yeux de la population pour une manière de prolonger indéfiniment son pouvoir : c’est la « Lenga » en patois sénégalais, que l’on peut traduire en bon français par « la volonté de durer » (happy ending).
La chose surprenante s’est passée en juin dernier. Macky Sall a dissout le parti de l’opposant Ousmane Sonko qui s’appelle simplement PASTEF Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l’Ethique et la Fraternité. Cette suppression s’est accompagnée sans problème par l’emprisonnement dudit Sonko. De même d’autres candidats à la Présidence, dont la fille de Wade, longtemps Président, sont dans les geôles sénégalaises.
La vrai problème est celui de la démocratie sénégalaise : a-t-elle jamais existé ? Le fondateur de la République, Léopold Sedar Senghor, socialiste, a pris le pouvoir sur un coup d’Etat et l’a gardé 17 ans, il a fait emprisonner son principal adversaire Mamadou Dia Les présidents postérieurs ont exercé leur magistrature pendant de très longues années. Mais, comme en Russie, les élections sont libres ! Les élections de 1988, 1998, 2012 se sont accompagnées de coups de force auxquels l’armée a participé. La Casamance est insoumise depuis 1983, la mort dans la petite ville de Zighuinchoir d’un jeune de 25 ans maltraité par la police a déclenché une émeute géante, des gens sont venus de Dakar pour fraterniser avec la famille1.
Les mauvais esprits diraient que dans ces conditions la démocratie sénégalaise n’a rien à envier à la démocratie française. Il est vrai que chez nous le seul Président au long règne aura été Charles de Gaulle (1958-1969) mais Emmanuel Macron veut finir ses dix ans, il attend aussi de durer sans problème, sans violence policière et sans émeute. Notre Conseil Constitutionnel est au-dessus de tout soupçon et, comme il se dit au Sénégal. L’Etat de droit permet d’imposer l’ordre public…
1 On peut lire avec profit l’article de la revue Idées publiée le 3 octobre 2023 par le Collège de France, signé par Sidy Cissokho. Cet article est documenté et prémonitoire. Par contraste le directeur de l’IRIS Pascal Boniface estime que la démocratie sénégalaise était un modèle : le pouvoir ne se prenait pas par les armes mais par les urnes.