Beaucoup de lecteurs réguliers de la Nouvelle Lettre savent qui était Jean Marie Sanne, d’autres peuvent aujourd’hui le connaître facilement en interrogeant Google,et les vidéo du Dauphiné Libéré ils découvriront une personnalité hors pair.
Né en 1926 ce jeune étudiant en philosophie s’engage à 18 ans dans la première armée française qui contribuera à la victoire de notre pays jusqu’au cœur de l’Allemagne nazie en 1944. Il sera blessé et recevra la Légion d’Honneur et la Médaille militaire avec trois citations. Il reviendra à la philosophie et enseignera à Lyon et Grenoble jusqu’en 1955 en dénonçant la peste communiste dans ses cours et ses écrits. Il faisait lire à ses lycéens l’ouvrage de Jean Daujat « Connaître le communisme ».
1955 marquera une étape décisive dans sa vie : Jean Marie Sanne, lieutenant de réserve, débarque à Alger pour répondre à l’appel du Colonel Roger Barberot qui invite les réservistes à rejoindre les « bérets noirs » pour lutter contre le FLN avec la « nomadisation » (c’est-à-dire la présence de l’armée française dans les villages du « bled »). En attendant d’être affecté à une mission Jean Marie passe quelques jours à Alger et c’est au bar de l’Otomatic que nous nous rencontrons, je suis étudiant en doctorat et je viens de faire la connaissance de Pierre Lagaillarde, donc nous sympathisons au titre de l’Algérie Française. Jean Marie sera quelques jours plus tard au contact des bandes du FLN dans la région d’Aumale. Sa patrouille de quinze hommes tombe dans une embuscade, cernée par deux cent cinquante FLN. Pourtant cette bataille inégale sera gagnée grâce aux rafales d’un avion T6 prévenu par radio, mais Jean Marie est atteint d’un éclat de grenade à la tête, il est transporté d’urgence à l’hôpital Maillot, je serai le premier à le visiter, sa tête est ornée d’un beau turban blanc.
A sa sortie de l’hôpital Jean Marie Sanne est au cabinet de Massu, qui livre la « bataille d’Alger » contre le terrorisme urbain organisé par Yacef Saadi et Ben M’Hedi Jean Marie Sanne s’engage maintenant en 1958 dans une autre bataille : contre les renoncements du nouveau pouvoir gaulliste (en place après le 13 mai) . Elle prend une forme dramatique le 20 janvier 1960 avec la fusillade des barricades ce qui lui vaut un emprisonnement à la Santé et un jugement en novembre par le Tribunal Militaire , qui fort heureusement ne confond pas engagement politique et criminalité. De retour à la vie « civile, Jean Marie Sanne reprend sa vocation de professeur de philosophie et d’histoire ; près de la retraite il s’installe à Montéléger avec son épouse Laurette, qui a obtenu le poste de directrice de l’Ecole . Sollicité pour devenir conseiller municipal Jean Marie Sanne sera élu maire de Montéléger et conservera ce mandat pendant 24 ans.
Il n’y avait rien de surprenant. D’une part il investit la commune dans la restauration du « Château » pour y installer un établissement d’accueil et de rééducation de jeunes handicapés, et il a aussi autour de lui une équipe de commerçants et d’entrepreneurs qui font de Montéléger un village en pleine extension, doté d’équipements sportifs et de logements individuels. C’en est au point qu’il refusera que sa commune désobéisse aux pressions du préfet pour entrer dans la communauté d’agglomération, et il obtiendra satisfaction. D’autre part Jean-Marie impressionne ses concitoyens. Par sa culture, par son éloquence, au point que les habitants des villages voisins viennent l’écouter parler à l’occasion des fêtes locales, mais aussi par sa simplicité, son écoute, son opposition à tous conflits – sans pour autant cacher ses convictions que tout le monde connaît (notamment à travers la presse qu’il achète !). Il est également certain que le couple formé du maire et de la directrice de l’école était admiré et respecté de tous.
Telle est l’histoire de l’homme, mais je crois nécessaire de tirer les leçons de cette histoire, et de dire ce qu’incarnait Jean Marie Sanne, et l’héritage qu’il nous a laissé.
Jean Marie Sanne c’est la civilité, la liberté et la charité.
La civilité est le résultat de la mission de l’enseignant. Face à ses élèves de Lyon ou de Grenoble, dans ses écrits et dans ses discours, Jean Marie Sanne a enseigné comment une nation a besoin non seulement d’un vrai savoir, mais aussi d’une élite formée aux bases de la civilité : la politesse, le respect des autres, l’exactitude, l’effort, le mérite, le travail.
Ensuite Jean Marie Sanne était un partisan de la subsidiarité et de la liberté. D’une part son action démontrait que la société civile est capable d’organiser la solidarité et la prospérité communes, donc que la politique ne doit pas dominer la vie en commun et, il faut le reconnaître, tout envenimer. D’autre part il n’aimait pas le jacobinisme, il voulait plus de liberté pour les élus locaux et il tenait en horreur l’Etat centralisé, despotique, incontrôlé, orgueilleux et corrompu. Il a su tenir tête à un préfet qui voulait supprimer les communes pour les fondre dans des agglomérations collectivistes irresponsables, destructrices des cultures municipales.
Enfin ces valeurs de civilité et de liberté ne peuvent se pratiquer, se transmettre et s’épanouir que si elles sont puisées dans des valeurs morales et spirituelles qui donnent à l’être humain le sens de sa responsabilité et de sa dignité. Jean-Marie était un philosophe catholique. Il cultivait la foi, l’espérance et la charité. La foi c’est ce qui guide la vie terrestre et nous invite à la recherche de la vérité, donc à la recherche de Celui qui la connaît. La charité c’est le souci et l’amour des autres, le sens du service et de la joie. L’espérance, disait Péguy c’est ce qui est le plus difficile. En accompagnant Jean Marie au cours de ses obsèques dans l’église de Montéléger, c’est l’espérance qui habite l’esprit et le cœur : espérance d’une vie éternelle, espérance de la renaissance de nos sociétés de liberté grâce à nos initiatives, à nos engagements et à nos prières. Merci Jean Marie.