Je ne veux pas faire de la récupération, ce serait indigne compte tenu de toutes ces personnes victimes de la barbarie du Hamas. J’ai d’ailleurs modifié plusieurs fois cet article, compte tenu des changements incessants de la situation, pas toujours dans un sens rassurant. Mais quant au fond, ce que je vais vous dire je l’ai écrit depuis des décennies, et je n’étais pas le seul à le dire[1].
Guerre de religion
Il est sans doute légitime de faire de ce drame une guerre de religion. D’abord parce que les barbares sont les exécutants de l’Iran chiite. Ensuite parce que la destruction de l’Etat d’Israël est un objectif justifié aux yeux de beaucoup de peuples depuis des années, au prétexte que Jérusalem la ville sacrée n’appartient pas aux Juifs. Encore parce que le Hamas est maintenant depuis la réunion de Beyrouth il y a un mois un partenaire reconnu, apprécié et soutenu par le Hezbollah et les Djihadistes, la guerre est sacrée comme Jérusalem.
La guerre contre l’Occident déclarée par les islamistes en 2001 avec les Tween Towers est bien devenue une guerre de religion.
Je crois toutefois nécessaire de rappeler la vérité historique, elle aussi masquée parce que réécrite par la propagande. Par exemple le colonisateur serait toujours un personnage odieux et le colonisé une victime exploitée. Le communiqué de l’Algérie en faveur du Hamas est d’ailleurs révélateur, il rappelle « les crimes odieux de la colonisation de la Palestine par les sionistes ».
La vérité historique est plus complexe. Pour s’en tenir aux périodes pour lesquelles l’information est disponible (souvent controversée) le territoire de Palestine va connaître un nouveau sort en décembre 1917 : pour punir les Turcs d’avoir soutenu les Allemands, les alliés « mandatent » la Grande Bretagne pour prendre le territoire de la Palestine en charge. Ce mandat sera validé par la Société des Nations en 1922, la déclaration de lord Balfour(1920) avait traduit ce que devait être la vie sur ce territoire : « étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existantes en Palestine ». De son côté la France reçoit mandat de diriger le Liban et la Syrie, anciennes possessions turques également.
L’entre deux guerres est marquée en fait par une vague d’immigration de Juifs venus d’Europe Centrale, et encouragés par l’URSS, ils multiplient les kibboutz qui contrarient les paysans installés (notamment en Cisjordanie) qui doivent se mettre sous la protection des Britanniques. Se forme alors une force juive indépendantiste, mais assez hétéroclite car la différence est forte entre les Juifs de gauche et de droite, l’Alliance Juive , l’Irgoun, présidée par David Ben Gourion. Cette opposition tourne au terrorisme visant les Britanniques, qui finissent par abandonner la « mandature » tout en laissant plusieurs officiers destinés à aider les palestiniens arabes, en liaison avec le roi de Transjordanie Abdallah 1er.
Lorsque la seconde guerre mondiale se termine, la Turquie ayant fait le choix d’Hitler se trouve totalement interdite de Proche Orient, tandis que la shoah a rendu les Juifs bienaimés des alliés d’autant plus qu’ils ont participé en Europe à une héroïque résistance aux hitlériens et fascistes. Il est donc prévu une redistribution du territoire palestinien pour faire place aux Juifs.
Un plan de partage est proposé par les Nations Unies (avec l’ambassadeur Bernadotte) mais il est refusé par les pays arabes. S’engage alors la guerre de 1948 : les pays arabes envahissent les régions récemment occupées par les Juifs, ils s’emparent même de Jérusalem. Mais les Juifs résistent en dépit de leur infériorité en hommes et en matériel et malgré le soutien en sous-main que les Britanniques apportent aux Arabes. En fait, à cause des divisions et de l’incompétence des armées arabes (Transjordanie, Syrie, Liban, Irak) la situation militaire se stabilise et un premier cessez-le feu va être déclaré. Ce n’est pas le dernier et pendant toute l’année 1948 les violations des cessez-le feu successifs s’enchaînent, et la population civile au cœur de ces affrontements fuit la Palestine. Cet exode est massif, il s’accompagne de morts des deux côtés. Mais progressivement les Israéliens prennent le dessus, avec le soutien des Occidentaux qui leur permettent d’acquérir un armement efficace de sorte qu’un nouveau plan de partage est proposé, et finalement l’Etat d’Israël va être reconnu sur l’ensemble du territoire appelé Palestine par l’Organisation des Nations Unies en décembre 1949, et Ben Gourion en sera le premier président.
Les premières années de l’indépendance sont marquées par un afflux considérable de Juifs européens. Une autre vague d’immigration se produira lorsque l’Algérie deviendra indépendante, et des milliers de Juifs vivant en France métropolitaine se sentent menacés par la massive immigration algérienne puisque le FLN y a acquis ses lettres de noblesse[2].
Les guerres ouvertes et le terrorisme palestinien
S’ouvre ensuite une période de guerres israélo-arabes. Car l’Egypte et la Syrie ne peuvent accepter le principe d’un Etat juif, alors qu’ils veulent la reconnaissance d’un Etat palestinien indépendant. Leur pression est telle que Sharon, le commandant de Tsahal, l’armée israélienne va mener en 1967 « la guerre des six jours ». En moins d’une semaine ses troupes envahissent des territoires alors occupés par l’Egypte (le mont Sinaï) et par la Syrie (le plateau du Golan). Voilà établies le fameuses « frontières de 1967 » Naturellement les pays arabes cherchent une revanche. Soutenu et armé par l’URSS Sadate, dictateur de l’Egypte socialisée, prépare une revanche éclatante : en 1968 il déclenchera la guerre le jour du Kippour, pendant que les Israéliens sont occupés à la fête du pardon. La surprise est totale, Golda Meir, alors présidente (ukrainienne d’origine et socialiste de conviction) donne sa démission pour n’avoir pas su défendre son pays. Progressivement l’armée israélienne se reconstitue et finalement les Israéliens n’ont pas été vaincus.
Le processus de paix est désormais amorcé et sera achevé par les accords de Camp David (USA) : Jimmy Carter a invité Sadate et Menahem Begin à se rencontrer, le traité de paix est signé le 26 mars 1979, et c’est ici qu’est imaginé l’artifice de la « bande de Gaza » (au Nord du Sinaï), ouverte aux populations qui peuvent entrer librement sur le territoire israélien. Contrairement à ce qui se dit couramment, ces gens peuvent entrer librement en Israël, notamment pour y travailler chaque jour, et les camions israéliens apportent à Gaza les produits indispensables.
En réalité à l’époque ce n’est pas principalement dans la bande de Gaza que les tensions et les attentats se multiplient. Beaucoup de gens venus des pays arabes voisins vont entrer en Palestine, ils grossissent les rangs des opposants systématiques à l’Etat israélien. Une première révolte est celle des pierres (intifada), provoquée par de jeunes immigrés mécontents d’être parqués parce qu’ils sont sans papiers. Yasser Arafat prend la tête de cette opposition et crée l’OLP Organisation de Libération de la Palestine.
Mais les Juifs répriment les révoltes et Arafat comprend qu’il a besoin d’une victoire diplomatique, sinon militaire. Il accepte l’invitation de Bill Clinton de se rapprocher de Yitzhak Rabin premier ministre israélien, les deux adversaires signent une « déclaration de principes » à Washington en septembre 1993, elle sera officialisée par les accords d’Oslo quelques jours plus tard. La disposition essentielle est la reconnaissance d’une autorité palestinienne en territoire israélien. Une planification sur cinq ans devrait régler pacifiquement les tensions entre communautés.
Mais voici la deuxième révolte (septembre 2000) provoquée par le fait qu’Aron Sharon, président du Likoud, a osé aller dans le quartier arabe et sur la Montagne Sacrée devant la mosquée de Jérusalem. Cette provocation va dégénérer en cinq années de guerre civile. Les attentats palestiniens deviennent quotidiens et de plus en plus meurtriers. Les Israéliens répliquent avec des frappes ponctuelles sur Gaza où sont visés les leaders du Hamas, ils construisent un mur pour stopper l’immigration en provenance de Cisjordanie. Jusqu’en 2004 les Israéliens neutralisent Yasser Arafat, il sera leur prisonnier pendant dix mois. Mais la vigilance des Israéliens diminue et les dissensions au sein de la Knesset augmentent. Pendant ce temps, le Hamas se renforce et va bientôt changer ses objectifs.
Le nouveau Hamas
La bande de Gaza n’est pas le lieu principal de tension tant que le gouvernement élu (démocratiquement) est aux mains du Fatah et de son leader très modéré Mahmoud Abbas. Soutenu par les Américains il a succédé à Arafat à la tête de l’Autorité Palestinienne. Mais les élections de 2006 voient la victoire du Hamas sur le Fatah, désormais s’instaure une division du pouvoir palestinien : la Cisjordanie aux mains du Fatah et la bande de Gaza aux mains du Hamas. La division n’est pas pacifique : il y a une guerre fratricide entre les deux. Ainsi les Israéliens sont-ils désormais bien entourés : au Sud le Hamas, à l’Est le Fatah et au Nord le Hezbollah, qui possède une véritable armée prête à envahir Israël à partir du Golan. Paradoxalement les Israéliens ont davantage concentré leurs forces contre le Fatah, peut-être à cause de la proximité de Jérusalem.
Une autre négligence a été de ne pas avoir compris le nouveau visage du Hamas. Les Iraniens, qui avaient parfaitement réussi à coloniser la Syrie et le Liban en installant le Hezbollah, ont beaucoup investi dans la jeunesse de la bande de Gaza. Des milliards que les Etats Unis versaient à Téhéran au nom de l’aide humanitaire (puisque le semblant de blocus était considéré comme réduisant le petit peuple à la misère) se sont convertis en équipements militaires et en formation de commandos grassement rémunérés. Il s’est créé en réalité une armée de voyous subventionnés, à l’image de ce que Wagner a pu être à la même époque. Tous ceux qui ont connu la bande de Gaza au cours de cette dernière décennie ont constaté la naissance de bandes de jeunes très attirés par l’argent facile, et la drogue est devenue le pactole généralisé chez cette génération, et les jeunes de Gaza comme partout dans le monde se sont greffés sur les réseaux mondiaux, et n’ont cessé de régler leurs comptes entre eux…à l’amiable. Cette dégradation et cette ruine morale ont permis à l’Iran de pousser un peu plus loin ses exigences : il s’agit maintenant de s’engager dans la guerre sainte, au-delà du terrorisme traditionnel. Ainsi le Hamas, collection de voyous trafiquants est-il devenu le partenaire entier des autres forces islamistes. Cette promotion s’est faite lors de la réunion tenue à Beyrouth le 8 septembre dernier, avec les représentants du Hezbollah, du Hamas et du Djihad et en présence du ministre iranien des Affaires Etrangères.
Il ne fait aucun doute que l’opération du Kippour a été programmée de façon précise. Le choix a été fait de la même façon qu’en 1973 : profiter des fêtes juives pour créer la surprise et exploiter un certain relâchement, attirer l’armée israélienne loin de la bande de Gaza, en faisant croire qu’une offensive allait être lancée du côté de la Cisjordanie. Le « progrès », entre 1973 et 2023 a consisté à avoir des armes de dernière génération et des tueurs parfaitement entraînés. A l’heure où j’écris, on ne peut savoir si comme en 1973 les Israéliens ne se rétabliront pas, mais toutes les conjectures peuvent se faire.
Une guerre mondiale ?
Dans l’immédiat les Israéliens ont encaissé un choc historique. La soudaineté, la multitude et la sauvagerie des attaques les ont anéantis : « plus de morts que pendant la shoah »a-t-on entendu. Benjamine Netanyahou a besoin d’une union nationale derrière lui, comme Golda Meier en 1973 il est tenu pour responsable par négligence, par une trop grande sûreté dans son jugement. Mais la mobilisation de la réserve militaire, très large, s’est visiblement bien passée. Au fur et à mesure que les crimes sont découverts, la colère populaire explose. L’entrée de l’armée israélienne dans la bande de Gaza ne s’est plus produite depuis 1974. La riposte militaire est une menace pour les quelque 160 otages enlevés (chiffre donné par le Hamas). Elle menace aussi les civils palestiniens privés d’électricité par l’armée. La guerre de la communication est engagée, ici le Hamas n’a rien à envier à Israël.
D’autre part, le Hezbollah ne va-t-il pas tenter d’envahir Israël par le Golan et la vallée du Jourdain ? Assurer deux fronts, sinon trois, est difficile, en dépit de la compétence et de l’héroïsme des militaires israéliens. Mais la présence de la flotte américaine va certainement bloquer toute tentative du Hezbollah.
On peut penser que les réactions mondiales pèseront dans la balance. Du côté Islamiste l’Iran n’a aucune raison de desserrer son étreinte. Mais l’Arabie Saoudite ne suivra pas. Le soutien vient de l’Algérie, qui se réjouit de la victoire du Hamas sur les « sionistes » et de pays africains (Yemen) sous influence turque ou russe. L’Egypte n’a pas envie de s’engager, et la frontière avec la bande de Gaza est toujours fermée : les Palestiniens sont dans un cul-de-sac.
Les grands acteurs de la géopolitique sont d’abord les Turcs, ils soutiennent le Hamas sans cesse depuis des mois, leur objectif est bien de reconstituer l’empire ottoman. Les Occidentaux sont en observation plutôt qu’en action : Biden a immédiatement débloqué une aide financière pour Israël et a envoyé la 6ème flotte, les ambassades européennes (Angleterre et France notamment) se sont mobilisées, Ursula von der Leyen a condamné l’agression du Hamas. Poutine ne cachera pas son plaisir de soutenir les envahisseurs palestiniens, qui viennent reconquérir leurs terres comme il a reconquis la Crimée en 2014 (d’ailleurs le Hamas et les islamistes traitent les Juifs de « nazis »). Les grands pays musulmans comme l’Indonésie n’ont aucune sympathie pour le djihad. Les pays appelés maintenant « pays du Sud » n’ont pas réagi, ils attendent le verdict du conseil de sécurité sans doute. L’ONU a rappelé les devoirs des pays en guerre de ne pas violer les droits de l’homme et de ne pas atteindre les populations civiles, mais on sait que l’Onu n’a aucune autorité dans cette région comme cela a été démontré avec le Liban, et que les leçons de morale n’atteignent pas souvent les pays en guerre. Enfin et non le moindre la Chine va jouer à sa manière l’ambiguïté, elle pourrait elle aussi profiter du drame israélien qui occupe tous les esprits pour prendre quelque initiative autour de Taïwan, mais la situation économique intérieure n’est pas bonne.
Reste l’hypothèse d’un bombardement des installations iraniennes par les Israéliens. Il fallait suivre Trump lorsqu’il a demandé le blocus économique de l’Iran, où le pouvoir en place est toujours aussi criminel, mais pas aussi solide que jadis. La seule certitude que nous pouvons avoir est que le monde libre a payé à nouveau, comme en Ukraine, le prix de son désarmement militaire et moral.
[1] Je me réfère notamment aux écrits d’Alain Bauer et Xavier Raufer et à la remarquable synthèse d’Alain Bauer sur LCI lundi matin 9 octobre
[2] Le Président algérien Tebboune a rappelé que la France, en sa qualité de « pays d’accueil » devait respecter les mœurs des citoyens algériens – même s’ils ont la double nationalité.