Tous les économistes sérieux, tous les assureurs et tous les financiers savent que la retraite par capitalisation est un système moins coûteux, plus rentable et plus sûr que la retraite par répartition[1]. Dans un article récent Nicolas Marquès a dénoncé d’ailleurs un vrai scandale social dans notre pays[2] et il a raison : actuellement la population française se divise en quatre catégories : les vernis, les privilégiés, les chanceux, les condamnés.
- Ceux qui ont la chance d’être en système de capitalisation : certaines professions libérales ‘comme les pharmaciens, les Sénateurs et les salariés de la Banque de France ; ils sont vernis.
- Ceux qui sont dans un système mixte où la répartition est la règle mais dont l’avenir est garanti parce qu’il est assuré par le budget de l’Etat : ce sont les fonctionnaires dont le traitement est payé par le ministère des finances mais auxquels on garantit aussi une retraite additionnelle de la fonction publique (ERA, jadis Préfon) gérée en capitalisation. Grâce aux contribuables ce sont des privilégiés.
- Ceux qui ont les moyens de se prémunir contre la faillite inéluctable de la répartition en bénéficiant d’un investissement en capitalisation : les salariés d’entreprises privées qui ont une substantielle retraite complémentaire gérée en capitalisation par l’Agric Arrco, et/ou qui ont un compte d’épargne retraite (PER, succédant à Perco, Perp, Madelin) alimenté par leurs employeurs qui de gré ou de force prennent sur leurs profits, mais aussi et surtout les Français qui ont un patrimoine suffisant et ont la sagesse de le protéger : ils sont chanceux de pouvoir financer leurs retraites en investissant dans l’assurance-vie ou dans la pierre.
- Ceux qui n’appartiennent à aucune des trois catégories précédentes et dépendent totalement du système de répartition : ceux là sont condamnés à travailler plus longtemps, à payer des cotisations de plus en plus lourdes, à avoir des pensions de plus en plus maigres. La récente « réforme des retraites » les a assassinés en les emprisonnant dans la répartition.
Voilà pourquoi Nicolas Marquès a dit la vérité : « Au nom d’une vision sociale idéalisant la répartition, nous avons construit un système à deux vitesses antisocial ». Quantitativement, dit-il, le système hybride représente 5 % de l’épargne française, alors que la capitalisation devrait atteindre au moins un tiers. L’institut Molinari, qu’il dirige, a publié des chiffres révélateurs : l’investissement en fonds de pension représente en France 10 % du PIB, alors qu’il représente 50 % dans la moyenne des pays de l’OCDE et atteint presque 200 % au Danemark.
Les trois piliers
Les experts (sérieux) en retraites ont l’habitude de rappeler que les systèmes de retraite, dans le monde entier, reposent sur trois piliers : le pilier répartition, le pilier capitalisation obligatoire, le pilier capitalisation volontaire. Cette présentation est significative, mais à moitié.
Elle est significative parce qu’elle permet de connaître où en sont les différents pays, elle décrit de façon saisissante la structure des systèmes nationaux de retraites. Pour simplifier je dirai qu’il y a trois catégories de pays :
1° ceux où le premier pilier est réduit à un minimum : c’est un « filet social » pour parer aux cas limites de personnes qui seraient dépourvues de tout revenu au moment de leur retraite, en général ce pilier est financé par la solidarité nationale, c’est-à-dire par les contribuables et les minimums vieillesse de l’Etat. Par conséquent les deux autres piliers sont plus importants
2° ceux où le troisième pilier est le plus développé : la retraite est gérée librement par les personnes, à travers des fonds de pension (c’est-à-dire que le capital est constitué de placements dans des entreprises triées sur le volet, avec un rendement très élevé et sans risque sur une longue période, contrairement à ce qui se dit souvent par haine du capitalisme.
3° ceux qui se situent entre ces deux extrêmes, et où le deuxième pilier est important : une part obligatoire de capitalisation.
De façon incontestable la France a un premier pilier démesuré, un deuxième pilier embryonnaire (épargne complémentaire et capitalisation collective), un troisième pilier peu important.
C’est donc un premier constat : le clivage social est important, seuls s’en sortent une minorité de nantis, de privilégiés, de chanceux. Cependant cette présentation n’est pas à mon sens suffisante parce qu’elle est statique, et elle masque la principale difficulté de toute réforme systémique : comment modifier la structure des piliers. Pour avoir longtemps travaillé avec Georges Lane sur l’avenir des retraites je sais que le problème important est celui de la transition : comment passer du tout (ou presque tout) répartition à un peu puis beaucoup de capitalisation ?
Gérer la transition
Non seulement la transition est difficile[3]mais elle a un lourd contenu social et politique : comment passer à la capitalisation sans détruire les droits acquis par des personnes qui ont cotisé toute leur vie dans un système de répartition ? Il serait inadmissible d’annuler ces droits, qui représentent en France aujourd’hui la masse de 4 PIB soit 10.000 milliards d’euros[4]. Des solutions existent, elles reviennent en général à deux méthodes :
-la méthode Pinera : ce pionnier chilien en capitalisation divise la population en trois strates suivant l’âge : ceux qui démarrent dans la vie active, ceux qui sont pensionnés ou sur le point de l’être, ceux qui sont en âge intermédiaire (35-50 ans par exemple)
-la méthode Feldstein : la transition s’étale sur trois générations, à un rythme croissant : c’est financièrement plus réaliste, mais c’est très long et exige une totale rigueur politique[5]
Certains ont cru échapper à ces méthodes en recourant à des retraites par points (ce qui existait par exemple dans la Préfon des fonctionnaires). Mais si la plupart des points sont donnés par un système de répartition, rien n’est garanti : j’accumule des points et je peux abonder à mon compte de points, mais quelle sera la valeur du point quand je partirai à la retraite ?
Mon sentiment est que l’on peut choisir la méthode Pinera. Je sais qu’elle a réussi au Chili et dans quelques autres pays, mais dans des conditions très favorables : niveau très faible des droits acquis et des pensions, apport massif à la transition par vente du patrimoine de l’Etat (privatisation des mines ou des transports). Mais l’idée de juxtaposer les régimes en trois catégories d’âge est bonne. Je l’ai adaptée en suggérant que les jeunes continuent à cotiser puissamment pour assurer le paiement du montant des droits acquis en cours (qui vont donc s’éteindre à plus long terme, comme Feldstein le suggère). Mais parvenus à l’âge mûr ils auront acheté leur liberté de constituer leur propre retraite. Une fois la rançon payée pour se libérer de la répartition, ils ont la liberté de constituer en une période de 15 à 20 ans une retraite assurée et peu onéreuse. Dans mon simple petit livre « Comment sauver vos retraites »[6] je me suis inspiré de la thèse du « cycle vital » de Modigliani et Bromberg : à chaque âge correspond un mode de gestion de l’épargne.
Je ne prétends pas avoir inventé une solution miracle. Je prétends en revanche qu’il est insuffisant de s’en tenir à vanter les mérites, bien réels, de la capitalisation, ou de dénoncer, à juste titre, la faillite de la répartition. Il faut en finir avec le scandale social actuel qui prive les plus démunis d’une pension sans rapport avec ce qu’ils ont cotisé, et du scandale politique qui s’accroche à la répartition pour des raisons purement idéologiques. Il faut sérieusement parler de la transition.
[1] J’exclue des gens sérieux les « experts » du COR (Centre d’Orientation des Retraites) derrière lesquels se réfugient le Président Macron et la plupart des membres de la classe politique : il n’y a aucun expert au sein de ce collectif hétérodoxe et le COR peut dire impunément tout et son contraire.
[2] Nicolas Marquès « Jean Jaurès était pour la capitalisation » Valeurs Actuelles, 11 mai 2023
[3] J’y ai consacré le troisième tome de mon ouvrage « Retraites du futur et futur des retraites » librairie de l’Université éd. 2013
[4] Qu’il faut ajouter aux 1,2 PIB de dette publique ; allez trouver des prêteurs autres que des usuriers ?
[5] Dans notre bibliographie nous avons cité 38 références à des articles et œuvres de Feldstein.
[6] Jacques Garello « Sauver vos retraites », Libréchange éd. 2014