Je me suis trompé : j’avais exclu un coup d’Etat d’Emmanuel Macron après la lourde défaite que tout le monde attendait, et qui s’est produite : « Peut-il nommer Jordan Bardella ou quelque autre leader du RN comme Premier Ministre ? […] Peut-il dissoudre l’Assemblée à chaud ? Le risque serait insensé. Donc, le coup d’Etat d’Emmanuel Macron sera de ne rien faire.
Seuls quelques initiés pouvaient donc savoir qu’il y aurait dissolution, car nul à l’Elysée ne doutait de l’ampleur du désastre annoncé par les sondages.
Mais quelle est la raison pour laquelle ils avaient déjà prévu la dissolution ?
Causes incertaines
J’ose avec impertinence avancer une première cause. Elle est ahurissante, mais réaliste : Emmanuel Macron se prend pour De Gaulle. Le mimétisme est certain : après le discours de Bayeux de vendredi dernier [1] on comprenait la démarche intellectuelle de notre actuel Président : De Gaulle a sauvé la France en ressuscitant l’Etat et la souveraineté politique de notre pays, et ce faisant il recrée l’unité nationale cassée par le gouvernement de Vichy et il rappelle que l’Europe ne peut exister sans la France.
Le mémoriel devient l’actuel : rappeler le débarquement c’est rappeler le rôle que la France a pu jouer dans la reconquête de la liberté. Cette assimilation est étayée par le tour de France qu’Emmanuel Macron a organisé pour honorer les héros de la Résistance (car il y a eu en effet d’authentiques résistants qui ont réalisé d’authentiques exploits et qui les ont payés de leur vie ou de leur déportation). Néanmoins le mémoriel s’est retrouvé dans les discours de Macron avec le sens de la poésie et du théâtre qu’on lui connaît : De Gaulle savait aussi avoir des formules miraculeuses : « Je vous ai compris » ou « Un quarteron de généraux à la retraite ».
Une fois évoquée cette cause mémorielle, en restent d’autres, qui ont été avancées dans les commentaires. La première est la mise en évidence de l’impuissance du Rassemblement National : lui donner à gouverner la France alors que le pays est engagé dans des défis insurmontables. De la Nouvelle Zélande à la guerre nucléaire en passant par l’Ukraine, la bande de Gaza, les relations avec Netanyahou, la décote financière qui coûte quelques centaines de milliards, l’hostilité à la loi sur l’euthanasie, sur la réforme des indemnisations du chômage, sur les manifestations des radicaux écologistes et des radicaux islamistes,, et enfin les craintes et les coûts engendrés par les Jeux Olympiques : voilà de quoi tester Jordan Bardella et ses alliés, et se débarrasser enfin de l’hypothèque Le Pen et de ce parti qui est ” hors de l’arc républicain”.
La deuxième cause pourrait être l’espoir d’un plébiscite en retrouvant l’électorat qui a par deux fois porté Emmanuel Macron à l’Elysée. C’est la revanche des législatives de 2022, qui n’ont pas apporté au Président la majorité parlementaire dont il avait besoin. Deux électorats pourraient être récupérés :; d’une part une partie des Français macroniens déçus par les mesures macroniennes : avec intelligence, comme toujours, Bruno Le Maire a déclaré ce matin qu’il faudrait « communiquer autrement » pour expliquer aux Français, un peu obtus sans doute, ce qu’ils n’ont pas compris de la politique menée à ce jour, d’autre part une grande partie des abstentionnistes qui n’avaient pas compris l’enjeu des européennes. Certes ces derniers sont excusables, puisque le Président les avait assurés que le scrutin de dimanche n’avait rien à voir avec la France, il ne concernait que l’Europe, ignorant sans doute que l’Europe pèse dans la vie de la France.
La troisième cause serait l’espoir d’une coalition avec des partenaires raisonnables. Elle pourrait être avec les Républicains, dont on dit qu’ils sont condamnés à disparaître, pourquoi ne pas survivre en Macronie plutôt que mourir en République ? Mais les voix qui se sont portées sur la liste LR de François Xavier Bellamy ne suffisent pas à constituer une majorité absolue à l’Assemblée.
Voilà donc trois causes possibles, peut-être certaines d’entre elles peuvent-elles se combiner et assurer le succès de la manœuvre. De Gaulle n’a-t-il pas retrouvé en 1968 une majorité de droite après avoir dissout l’Assemblée en application de l’article 12 de la Constitution ? Oui, mais Chirac a fait de même en 1997 et a été condamné à trois ans de cohabitation « courtoise » avec Lionel Jospin. C’est dire que les conséquences peuvent être plus graves que prévues par Emmanuel Macron.
Quelles conséquences ?
La première conséquence est celle que promettent Marine Le Pen et Jordan Bardella : les Français, avides de changement de politique, votent massivement pour le RN aux législatives, la majorité absolue est assurée. Mais le comportement de nombreux électeurs qui ont voté dimanche pour le RN n’est pas homogène : il y a beaucoup de votes rejet, de votes volontairement violents anti-Macrons, sans pour autant adhérer aux idées ou aux programmes du RN. Vont-ils s’abstenir ?
La deuxième conséquence est la reconstruction de la gauche. Le succès de Sébastien Glucksmann, inattendu, est aussi spectaculaire que celui de Bardella, et ne doit rien à Emmanuel Macron. Dès les résultats connus, le nouveau leader de la gauche a demandé de reconstituer le front de gauche à l’exclusion de la France Insoumise, à cause des « outrances » qui ont déconsidéré la gauche en France, alors qu’elle est en progrès, partout en Europe. Le suffrage uninominal à deux tours se prête facilement aux alliances, et il est possible que le premier parti soit donc au 10 juillet celui de la gauche réunie, le NUPES sans les Insoumis. Certes les Insoumis de Marion Aubry représentent 10 % des votes de dimanche dernier, mais là encore il y a une clientèle d’abstentionnistes qui s’engageraient peut-être à saisir l’occasion de « renverser la table ».
Cette hypothèse est d’autant plus réaliste que le virage à gauche est tout aussi prononcé en Europe entière : l’Europe de Delors, « sociale » et écologiste, se trouvera renforcée dès les premières réunions à Strasbourg.
La troisième conséquence pourrait être la reconstruction de la droite. Les relations entre RN et LR n’ont pas été mauvaises depuis le début de la législature, une quinzaine de Républicains ont souvent voté avec le RN. Il y a en commun le volet « régalien » : la sécurité intérieure et la défense extérieure. Toutefois cette hypothèse a une faible probabilité compte tenu de la personnalité d’Eric Ciotti et de ses soutiens.
La quatrième et dernière hypothèse est celle d’un report à plus tard des réformes structurelles dont la France a besoin. Cette dramatique conséquence a été évoquée dès le début par David Lisnard. Refaire la France en trois semaines au cours d’une campagne sans vrai débat, avec des programmes fabriqués en quelques heures, n’est pas sérieux. La seule offre politique nouvelle est celle des libéraux, elle sera portée par le parti « Nouvelle Energie » fondé par le maire de cannes et président de l’association des Maires de France, mais il faut d’abord avoir eu le temps de présenter aux Français le vrai programme de rupture, et de fabriquer ainsi des « électeurs libéraux » (ce à quoi nous nous employons dans cette Lettre)
De toutes façons, on en saura plus demain soir :
1° une entrevue est prévue entre Marion Maréchal et sa tante Marine et Jordan Bardella : va-t-on en finir avec Zemmour ?
2° Edouard Philippe doit s’exprimer demain soir et fixer le programme macronien, car c’est lui et lui seul qui a quelque chance de rameuter l’électorat macronien perdu
3° D’ici vendredi il aura fallu désigner les candidats, et passer les accords voulus, ce n’est pas simple compte tenu de la proposition faite par les Macroniens de soutenir ceux qui ne sont pas hostiles à Macron…
[1] Cf. mon article : du 7 juin 2024 :” Le discours de Macron à Bayeux : une vérité, une erreur” , il a dit la vérité sur ce qu’il veut, il s’est trompé sur ce que voulait De Gaulle