Je me suis en effet posé la question lorsque j’ai appris hier l’offre surprenante : Marine Le Pen est invitée par le Président Macron à un débat télévisé. Il y a sûrement du 9 juin dans l’air : la liste de Madame Hayer est distancée de quelque vingt points par celle de Jordan Bardella. Le Président a donc le souci naturel de relativiser l’échec annoncé. L’argument majeur est bien connu : les élections européennes n’ont rien à voir avec la politique menée par le gouvernement et la majorité (relative) actuelle.
Et c’est bien la voix de l’Europe que doit porter le Président de la République, car c’est lui seul qui a constitutionnellement la responsabilité des affaires étrangères, et c’est lui seul qui sait de quelle Europe ont besoin les français, mais aussi tous les peuples de l’Union.
Il s’agit évidemment d’un pieux mensonge mais aussi d’un déni de démocratie.
Un pieux mensonge
Hier, au cours d’un entretien avec des journalistes, Emmanuel Macron a expliqué pourquoi il intervenait dans la campagne des présidentielles. Ce n’est pas par esprit partisan ou personnel (Je ne suis pas candidat et je serai Président à coup sûr après les élections), c’est par mission, et les Français attendent ce débat « Ce sont les Français qui m’ont mis face à l’extrême droite, au cours des deux élections présidentielles ». D’après le Président : c’est ma responsabilité personnelle de démasquer le Rassemblement National […] car ce parti est anti-européen.
Donc, il ne saurait attendre le résultat des élections pour avoir un débat qui n’aurait plus aucun sens : c’est maintenant ou jamais qu’il faut débattre et que Marine Le Pen doit accepter.
S’agit-il d’un mensonge ou d’une illusion qu’il veut faire partager à une majorité de Français ? Toujours est-il qu’il défend l’Europe d’autant mieux que c’est lui qui, actuellement, incarne le mieux l’idéal européen : n’est-il pas en Allemagne en particulier pour persuader les jeunes de l’erreur que représente le nationalisme ? En réalité le seul nationalisme qu’accepte Emmanuel Macron c’est le nationalisme européen, même s’il n’a jamais cessé de souhaiter « la souveraineté alimentaire » de la France.
Le roi se croit revêtu du manteau de l’Europe, mais le roi est nu.
Le déni de démocratie
Dans un pays réputé libre, le magistrat suprême ne se confond pas avec un premier ministre, soumis en principe au vote d’un parlement, et encore moins avec un chef de parti. Mais Macron prend le relais de Gabriel Attal, puis maintenant de Valérie Hayer. Il est maintenant au niveau de la base, et son image européenne en souffre déjà beaucoup : comment confier le sort de l’Europe a un leader qui n’est pas suivi dans son propre pays ? Les foucades militaires et diplomatiques de l’Elysée ont d’ailleurs hérissé le poil de nombreux dirigeants en Europe. Se refaire une bonne réputation avec un voyage de trois jours en Allemagne n’est pas la meilleure opération.
Et se croire assuré du succès au cours d’un débat avec une personne qu’il a en effet dominée au moins deux fois n’est pas une meilleure opération. Plusieurs commentateurs ont supposé que le Président aurait proposé le débat avec l’espoir que Marine Le Pen le refuse. Elle aurait ainsi montré sa peur du débat – alors qu’en acceptant elle pouvait facilement convaincre les téléspectateurs : « erreur tactique » a-t-on dit. Mais je ne pense pas qu’il faille adopter la meilleure tactique. Je pense qu’il faut faire respecter les meilleurs principes. Or, parmi les principes démocratiques, il en est certains qui sont violés :
– D’une part la voix du peuple ne peut être étouffée par décret. Sur ce point en effet la Constitution de la 5ème République est irrecevable (avec le jeu de l’article 16 en particulier).
– D’autre part l’usage de la contrainte dont l’Etat a le monopole est réservé à la protection des personnes et des biens. Il ne peut être mobilisé pour assurer la propagande des hommes de l’Etat. Avec la multiplication des manifestations et des apparitions radio-télévisées, avec l’accumulation et la hâte de certaines réformes sociétales1, la démocratie, déjà empreinte de beaucoup de démagogie, verse au totalitarisme du pouvoir en place. Les libéraux, dont je suis, ne peuvent l’admettre.