La plupart des Français tiennent la loi de 1905 comme une bonne chose : n’a-t-elle pas mis fin à la menace que la religion catholique faisait peser sur la République française ? Ils se trompent, et à plusieurs titres.
Au titre de l’histoire d’abord. Voilà plus de trente ans que la troisième de nos Républiques avait été installée. A notre connaissance l’appareil d’Etat et les gouvernants successifs n’appartenaient pas à une catholicité militante, même chez les royalistes « légitimistes ». Les faits marquants de l’époque ont été plutôt le terrorisme des anarchistes (assassinat de Sadi Carnot par exemple) et les scandales qui agitent la classe politique, et particulièrement les républicains « radicaux » – le premier ministre « républicain » Jules Grévy est impliqué (sans doute à tort) dans le scandale des décorations et doit démissionner, remplacé par Sadi Carnot. Clémenceau et près d’une centaine de députés sont compromis dans le scandale de Panama. Tout ce beau monde est issu des loges maçonniques du Grand Orient et veulent en revenir aux sources de la République des années 1792, celle de Robespierre et du culte de l’Etre Suprême. Ils contestent le Concordat passé entre Napoléon et le Vatican : prise en charge par l’Etat des clercs désignés par Rome et la hiérarchie épiscopale, en compensation de l’abandon définitif de tous les biens de l’Eglise « nationalisés » par la Révolution. En face, la droite extrême, avec Drumont et Déroulède par exemple, se livre à une campagne antisémite qui prend un tour dramatique avec l’affaire Dreyfus. Au total ce sont surtout les adversaires de la religion catholique qui sont au pouvoir et, loin de contrecarrer l’emprise imaginaire des « gens de la calotte » sur la République, ce sont les radicaux qui veulent détruire l’influence de l’Eglise catholique sur le peuple français. Cette influence n’a rien d’agressif, elle est dans la tradition d’une nation rurale à 80 %, elle traduit la foi chrétienne profonde à l’époque (en effet difficile à imaginer aujourd’hui).
Au titre du droit, la loi de 1905 n’est pas mieux lotie. Il s’agit tout d’abord d’un droit positif, écrit de façon tout à fait contingente, et résultat de compromis politiciens qui vont toujours dans le même sens : renforcer le pouvoir de l’Etat sur la religion, et précisément la religion catholique. Ce droit positif a été posé dès l’année 1903, pour appliquer aux associations religieuses les dispositions de la loi de 1901 consacré aux associations. Les associations ayant pour objet l’enseignement et les cultes sont désormais interdites, parce qu’elles n’ont pas mission à enseigner les enfants ni à prêcher la religion. De la sorte les congrégations religieuses sont dissoutes, leurs membres vont quitter la France, et les Chartreux vont être expulsés par les gendarmes. Il s’agit d’une disposition totalement arbitraire. Mais c’est ensuite le patrimoine immobilier de l’Eglise catholique qui va être visé : la propriété des cathédrales, églises, monastères et autres lieux de culte doit désormais être transmise à des associations cultuelles indépendantes du Vatican. La transmission doit se faire après un « inventaire » fait par les représentants de l’Etat. Dans les provinces très catholiques (Bretagne, Vendée, Nord, Massif Central) l’opposition des populations locales sera très forte. Mais Aristide Briand, à la suite du « père Combes » (démissionnaire parce que compromis dans le scandale dit « des fiches ») imagine une habile parade pour ramener la paix civile : l’article 4 de la loi prévoit que l’Etat prendra désormais en charge les bâtiments inventoriés, à condition évidemment que les nouveaux occupants soient ceux des associations cultuelles. Nous voici d’ailleurs revenus à la Vierge de l’île de Ré : les signes et rites religieux ne peuvent être tolérés dans l’espace public. De la sorte, les juges du tribunal de Bordeaux qui ont rendu leur sentence il y a quinze jours sont dans la ligne : la statue est dans la rue, donc dans un espace public. Il faudrait changer la loi de 1905 si on veut garder la statue. Mais la diligence des laïcards sera sans doute plus efficace qu’un révision de la loi de 1905 par un Parlement très occupé en ce moment. La réforme des retraites paralyse la réforme de la liberté religieuse.
Car c’est au titre de la liberté religieuse que l’on peut se scandaliser de l’offensive tous azimuts des laïcards. Qu’il s’agisse de bâtiments, de statues, de vêtements, de vie privée, les Français sont sous la bonne garde de la République et de ses « valeurs ». L’Etat a la présomption de contrôler les religions comme le reste. S’il est incapable d’assurer la sécurité et de faire respecter les institutions de notre pays par des personnes ou des communautés transplantées, il se croit autorisé à faire la chasse aux religions, et par-dessus tout aux catholiques. Au moment du vote de la loi de 1905 les protestants se disant libéraux (membres de la Libre Pensée) n’ont pas protesté, et seuls quelques rares catholiques dits « libéraux » comme Henri de Mun, ont fini par se rallier aux conclusions de la commission Aristide Briand. C’est sur cette base ambiguë et arbitraire que la « laïcité » (un mot inventé par Briand) a fait son chemin, et a progressé jusqu’à devenir atteinte à la liberté religieuse, à la liberté scolaire, aux libertés locales. Nous en arrivons au stade de la liberté d’expression : interdiction de s’écarter de la pensée unique qui nie le droit à l’individualité, à la personnalité, à la vie privée, et qui se révolte contre tout ce qui a existé et a permis à la liberté de progresser. Les « wokes » sont déjà en France, leur premier souci est de renverser les statues, dans les espaces publics, puis bientôt n’importe où. La liberté ne peut se conjuguer que dans la dignité.