L’affaire n’est ni nouvelle, ni simple, ni terminée. Peut-on en tirer les leçons ?
L’affaire n’est pas nouvelle. Quelques jours après avoir prononcé son « Je vous ai compris » à Alger Charles De Gaulle est allé à Brazzaville pour annoncer que l’Empire Français ne devait plus exister, parce que la France souhaitait que les peuples de l’AOF et de l’AEF prennent la responsabilité de leur développement. Il est vrai que le pouvoir politique dans ces régions s’organisait à partir de Paris, où l’on formait les cadres qui devaient diriger les pays africains[1].
Mais plusieurs dérapages se sont assez vite produits :
- La France Afrique est devenue la Françafric : les fonds que les gouvernants français de la Vème République ont envoyés à leurs correspondants africains pouvaient revenir en France sous forme de financement des partis politiques. Jacques Foccart a été le parrain de l’opération, qui exigeait corruptions et exécutions sommaires[2] !
- Etre au pouvoir en Afrique a signifié devenir millionnaire : l’aide publique internationale finissait en Suisse dans les comptes personnels des dirigeants. Dans ces conditions coups d’Etat et dictatures devenaient une aubaine, et se sont succédés. On a parlé de « socialisme helvéto-africain »
- En effet la référence au socialisme s’imposait aussi, car le plus fort dérapage a été de mettre les pays à la dramatique épreuve de la planification, et à refuser tout ce qui pouvait passer pour du libre échange et de la libre entreprise. Certes cette erreur a existé avant 1968, sous l’influence des économistes français inspirés par François Perroux et l’ISEA dès les années 1950 mais aussi par l’Encyclique Popularum Progressio du Pape Paul VI (1967). Ainsi le commerce international est-il considéré comme un facteur de sous-développement, les éventuels entrepreneurs étrangers sont soumis à un « code d’investissement » leur interdisant de rapatrier les profits, et les fonds de l’aide internationale ont-ils être plus faciles à maquiller à travers les colonnes de la comptabilité nationale. Bien entendu aucun plan africain n’a porté la moindre croissance durable, et le choix effectué est bien illustré par le dialogue entre Bill Clinton (trade,but not aid) et Jacques Chrirac (aid, but not trade) en 2003. Le résultat le plus significatif des erreurs françaises a été que l’élite africaine orientée par le progrès a pratiqué de plus en plus l’anglais, et s’est tournée de plus en plus vers les Etats Unis et les organisations internationales. Le commerce c’est l’anglais, la politique c’est le français.
L’affaire n’est pas simple
En effet, l’échec du français a eu et a aujourd’hui une dimension géopolitique incontestable. Si certaines élites africaines se tournaient vers les Etats Unis, d’autres allaient se former à l’Université Patrice Lumumba à Moscou. Ils en revenaient non seulement planificateurs mais surtout marxistes. Le marxisme dans sa version africaine a été particulièrement bien traduit par Léopold Sédar Senghor (qui a été formé dans les années 1930 en France, et pas en URSS). Président du Sénégal (1960-1980) ce poète qui philosophie va même dépasser le marxisme, déjà trop âgé dans la série des idéologies, pour reprendre l’idée de « négritude » (un mot inventé par le martiniquais Aimé Césaire) : c’est en Afrique que l’être humain est né, et l’homme universel descend donc des Noirs. Le concept d’homme universel lui est soufflé par le jésuite Teilhard des Jardins[3].
Moins philosophique mais plus agressif le communisme a choisi l’Afrique pour cible et naturellement la Russie de Poutine persévérer dans la même voie. Après la conquête de la Lybie l’islamisme radical va pactiser avec la Rissue, et Wagner va faire le travail de conquête : au Mali, puis en République Centrafricaine, puis au Niger. La haine de la France à Niamey est attisée par Wagner et les islamistes.
Marxisme, communisme et islamisme ne sont pas les seuls prédateurs de cette Afrique jadis française.
Il y a d’abord les Chinois, qui ont toujours été présents dans les activités commerciales sur le continent africain. Paradoxalement ils adoptent la logique capitaliste : investir pour s’emparer du marché et placer leurs exportations. L’opération a été déjà réussie en Algérie, elle est bien avancée dans les pays du Sahel et d’Afrique orientale.
Il y a ensuite les Turcs. Comme pour les Chinois les visées économiques sont visibles. Mais il y a aussi l’idée de la reconstitution de l’Empire Ottoman : ne s’étendait-il pas au 14ème siècle jusqu’à l’équateur ? Il est vrai que le président Erdogan, une fois réélu, a changé son fusil d’épaule, a rompu l’alliance avec Poutine et entend maintenant se rapprocher de l’Occident et se distinguer des islamistes (qui maintenant s’opposent à lui en Turquie).
Il y a encore les Indiens, qui ont acquis une position dominante dans certaines activités (comme le transport) et qui sont très présents en Afrique Orientale.
Il y a enfin et non le moindre les Etats Unis, non seulement au nom de l’impérialisme américain réveillé par Trump pour barrer la route aux Chinois, mais aussi parce que les ressources naturelles de ces pays d’Afrique sont considérables, qu’il s’agisse des produits pétroliers ou des métaux rares. Les Américains ont multiplié écoles et instituts où l’on communique en anglais.
A mon sens, ce puzzle géopolitique explique les coups d’Etat et le désordre qui règnent aujourd’hui, et la France n’est pas en position d’intervenir autrement qu’en parole. Voilà qui peut inquiéter pour le futur immédiat.
L’affaire n’est pas terminée
Les désordres et les coups d’Etat semblent inéluctables et durables dans les prochaines années. On peut en relever trois facteurs fort différents :
- Le Brics : la récente réunion en Afrique du Sud a reçu des représentants de nombreux pays africains, certains pays ont d’ores et déjà candidaté, dont l’Algérie. Ainsi se créerait une coalition anti-occidentale,
- au prétexte de « multipolarité » imposée contre l’impérialisme occidental. Le Brics a le soutien de la plupart des organisations internationales, en particulier de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) et de la CNUCED (Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement)
- La négritude : elle s’est manifestée au grand jour en Tunisie (juin 2023) à l’occasion de la traversée de la Méditerranée d’émigrants africains. Il a été invoqué que la Tunisie a été peuplée par des Noirs venus de Lybie et du Soudan et qu’il y a toujours eu dans le passé une voie d’échanges entre le Sahel et la Tunisie (principalement à travers le Niger et la Lybie. De l’autre côté de l’Atlantique renaissent les mouvements de révolte contre le sort que les Noirs africains ont connu avec le trafic d’esclaves exploités et exclus par les colons américains. Les woks ont intégré la négritude universelle dans leur doctrine, et les manifestations et les attentats anti-blancs se sont multipliés récemment.
- Le sous-développement économique : ce facteur me semble le plus décisif, il a d’ailleurs été évoqué dans la plupart des discours (y compris d’Emmanuel Macron), mais sans que la moindre initiative concrète ait été prise. La pauvreté est la cause première de l’émigration africaine. Des milliers de jeunes gens savent qu’ils ne pourront pas arriver vivants en Europe, mais ils risquent leur vie pour changer de vie. Mais pourquoi le sous-développement, alors que dans le monde entier plusieurs pays naguère misérables ont émergé dans l’économie mondiale ? C’est que cette partie de l’Afrique a été orientée dans la mauvaise voie : celle de la dictature et du socialisme, les deux étant toujours et naturellement liés. La France, l’Europe, les Etats Unis et ce qu’on appelle « l’Occident » en sont grandement responsables. Seuls le libre échange et la libre entreprise sont capables d’inverser la tendance. Mohammed Yunius, prix Nobel de la Paix 2006[4] a donné l’exemple : ce petit entrepreneur indien a créé une fabrique artisanale qui a réussi, et il a ensuite imaginé de faire crédit à de petites gens qui désiraient tenter à leur tour l’aventure entrepreneuriale. Lesq taux d’intérêt qu’il exigeait étaient considérables, mais stimulaient les emprunteurs à réussir, de sorte que sa banque est devenue florissante et qu’il est devenu millionnaire.
La voie du développement n’est ni dans la planification ni dans l’aide publique internationale, ni dans les organisations internationales submergées de représentants de régimes totalitaires. La voie du développement est dans la liberté. Il faut en finir avec les approches globales, avec les alliances politiques, qui débouchent sur des nouvelles dictatures et des guerres civiles.
Des leçons ?
Restaurer la liberté n’est pas une utopie. On a pu voir plusieurs pays du Commonwealth émerger, parce que les dictatures y sont plus rares. On a pu voir certains pays européens naguère dirigistes évoluer vers la « frugalité » : le Portugal, les pays baltes par exemple. On connaît des pays sereins comme la Suisse ou la République Tchèque, ou la Slovénie.
La leçon est la réforme libérale, la rupture avec le socialisme, mais aussi avec l’Etat providence qui pousse à l’électoralisme et multiplie règlementations et dettes publiques. La France est certainement le pays qui a le plus long chemin à faire pour acquérir la liberté et en retirer tous les bienfaits. A quand le premier pas ?
[1] C’est en particulier l’Ecole de la France d’Outremer qui a formé ces cadres
[2] Foccart ; résistant héroïque et gaulliste, a été officiellement conseiller des Présidents De Gaulle et Pompidou. Sur ses exactions, en Algérie et en Afrique, on peut voir Cairn info Histoire Politique 2009/2
[3] « Le Phénomène humain » Senghor a été aussi influencé par Sartre
[4] « Vers un Monde sans pauvreté » 1998