Je constate avec plaisir qu’après quelques années de travaux citoyens sur la réforme des retraites la capitalisation fait une percée que j’oserai qualifier d’inespérée. Des sénateurs du parti LR ont demandé qu’on fasse une place à la capitalisation dans le débat qui vient de s’ouvrir dans la Haute Assemblée. Progressivement on pourrait abandonner l’opinion selon laquelle la retraite par répartition serait un « trésor national ». On apprend aussi que Jean Jaurès et les socialistes avaient plaidé pour la capitalisation en 1910.
Je constate aussi que les sénateurs ont eu le courage d’aller contre la pensée unique, il faut « oser » la capitalisation. Mais leur position me semble plus timide sur deux points : d’une part leur proposition devrait « préserver le système par répartition » et d’autre part ils souhaitent que la capitalisation soit « collective ».
Conserver et bricoler la répartition au cœur du système actuel n’est pas une vraie réforme, puisque l’explosion prochaine est fatale avec une population vieillissante, sauf à admettre une immigration massive immédiate ou une politique nataliste qui porterait ses fruits au plus tôt dans vingt ans. Quant à la capitalisation, pourquoi ne serait-elle pas « personnelle », c’est-à-dire offrir à chacun le libre choix du placement de son épargne au lieu de la verser à la Sécurité Sociale ?
A juste titre les sénateurs observent qu’un Français sur quatre a aujourd’hui les moyens de financer sa propre retraite : assurance-vie, achat d’un logement, portefeuille d’actions et toutes formes d’un patrimoine suffisant. Si les sénateurs estiment qu’il n’est pas juste que le privilège de la capitalisation soit restreint à ce quart, ils ont raison et ils pourraient dire, comme leur président Bruno Retailleau, que la capitalisation « tout seul » pénalise les pauvres. En revanche je soutiens que la capitalisation « collective » qui condamne les Français à s’en remettre à l’Etat, à la CNAM, voire même aux comptes d’épargne d’entreprise n’est qu’une caricature de la capitalisation. La vraie capitalisation est ce que l’on pourrait appeler la « capitation » : chacun garderait la tête de son épargne, chacun n’en ferait qu’à sa tête. Ainsi définie, c’est bien cette capitalisation-ci qui caractérise les réformes réussies dans la plupart des pays de l’OCDE. Elle est donc banale, mais elle aussi doublement efficace : et du point de vue financier et du point de vue social.
Du point de vue financier lier le montant de sa pension future à la gestion de l’Etat et de la Sécurité Sociale qui pratiquent la répartition avec une population vieillissante n’est évidemment pas une bonne opération, tout le monde en convient. Mais lier obligatoirement la pension future à la vie d’une entreprise n’est pas non plus rassurant car l’entreprise peut dilapider ou voler l’épargne des adhérents (cela a été le cas d’Enron, de Madoff, etc.) et, plus simplement, les résultats des entreprises peuvent fortement varier et réduire le montant finalement touché, comme on peut l’observer entre autres avec les comptes-épargne retraite prévues au titre de l’intéressement.
Par contraste les rapports de la capitalisation sont évidents. Au lieu d’être purement et simplement gaspillé (la masse des cotisations sociales encaissées par l’URSSAF est immédiatement engloutie dans le paiement des pensions du moment) l’argent capitalisé va pouvoir être recyclé dans l’économie, et les investissements vont créer des emplois et des richesses nouvelles. En 15 ans la valeur des placements à un taux de 5% réels est doublée, et sans aucun risque (sinon celui du détournement de fonds par le gestionnaire, risque propre à tout contrat mais délit gravement puni).
Il est vrai que les bienfaits financiers de la capitalisation exigent des conditions qui peuvent aujourd’hui sembler utopiques : d’une part la stabilité monétaire, puisque l’inflation fausse et détruit toute anticipation rationnelle, d’autre part la conscience et la confiance du futur, alors qu’aujourd’hui c’est le carpe diem, l’instabilité et les loisirs qui animent en particulier trop de jeunes – faute d’un accompagnement familial et scolaire stable et de qualité.
C’est ici que la dimension sociale de la capitalisation prend toute son importance : il s’agit d’un vrai choix de société. C’est le privilège contre le mérite, c’est l’activité contre l’assistanat, c’est la sécurité contre le désordre, c’est l’économie contre la politique. Je me permets de rappeler quelques sentences bien frappées par Gary Becker, prix Nobel, lors d’une conférence à Paris en 1996 :
C’est un retour au travail : plus de gens seront actifs et plus longtemps. Cela suppose évidemment que les pouvoirs politiques cessent d’intervenir sur le marché du travail et lui rendent la liberté et la souplesse nécessaires.
C’est un retour à l’épargne : alors que la répartition dilapide l’argent gagné et détruit le capital humain et la richesse nationale, la capitalisation place l’argent gagné, le fructifie Cela suppose aussi que toute fiscalité sur l’épargne soit éliminée.
C’est un retour à la responsabilité personnelle : la répartition contient tous les germes de la collectivisation et aboutit à faire disparaître toute idée de progrès personnel. La capitalisation a le mérite de mettre chacun face à son propre progrès. S’il y a des individus laissés pour compte on peut prévoir un filet social à leur intention, mais ces cas doivent demeurer marginaux ; il faut se garder comme on le fait maintenant de construire tout un système d’Etat Providence sur des hypothèses extrêmes qui ne concerneraient normalement qu’une infime minorité de la population.
Demeure cependant une vraie question : quand la classe politique acceptera-t-elle enfin ce choix de société et va-t-elle réformer pour libérer ? Quand va-t-on retrouver l’espoir en faisant confiance aux êtres humains animés du désir d’un progrès responsable ?